Après avoir récemment évoqué l’essoufflement du modèle de nos stations de ski, la Cour des Comptes s’est penchée dans son récent rapport sur la question des littoraux, mal préparés aux conséquences du réchauffement climatique. Un constat identique à celui dressé par le Groupe Scet, un cabinet de conseil (filiale de la Caisse des Dépôts) qui se consacre à l’accompagnement des territoires dans leurs différentes transitions. A l’occasion de la publication de son Livre blanc intitulé «Montagne et littoraux: En première ligne face au dérèglement climatique», Timothée Hubscher (Directeur Planification & Résilience des Territoires au sein du Groupe Scet) nous en dit plus sur ces sujets qui appellent à de profonds bouleversements, tant dans la vie quotidienne des habitants que dans la gouvernance de ces territoires.
Vous venez de publier un Livre blanc dans lequel vous apportez nombre de recommandations. Quels sont les principaux défis auxquels littoraux et territoires de montagne doivent aujourd’hui faire face?
Timothée Hubscher: «On le sait, ce sont toujours sur ces territoires que le dérèglement climatique se voit en premier! Avec, ces dernières années, une dynamique qui s’accentue et des risques qui se renforcent. De plus, malgré leurs grandes différences, littoraux et territoires de montagne ont beaucoup de points communs. D’abord ils sont très touristiques et doivent faire face à des moments de flux importants. Et ils connaissent aussi d’importants changements de températures, avec des éboulements de plus en plus importants d’un côté, un net recul du trait de côte de l’autre. Pour autant, alors même que les risques augmentent ces territoires ont enregistré ces dernières années un fort renforcement de leurs actifs. Depuis Xynthia le littoral touché par la tempête a vu son foncier augmenter de 30%! Même chose en montagne où l’on sait par ailleurs que 80% à 90% du manteau neigeux devrait disparaître d’ici à 2100, 30% à 50% à l’horizon 2050. Alors que dans ces territoires il existe beaucoup de «lits froids» (c’est-à-dire des logements occupés moins de 30 jours par an), on continue à densifier les actifs touristiques!»
«Se projeter dans une stratégie de résilience nous impose de nous interroger profondément sur notre rapport à ces territoires.»
Timothée Hubscher
Quels sont, selon vous, les points les plus urgents à mettre en place?
Timothée Hubscher: «Se projeter dans une stratégie de résilience nous impose de nous interroger profondément sur notre rapport à ces espaces. Nous vivons encore sur un modèle construit dans les années 1960, avec une forte logique de consommation. Sauf qu’au regard des enjeux, ce modèle est devenu un non-sens.»
Comment faire pour provoquer ce changement, et surtout pour le faire accepter?
Timothée Hubscher: «Cela nécessite de se poser, et de le faire collectivement. Car ces questions ne peuvent pas être seulement portées par les élus. La population ainsi que tous les acteurs économiques de ces territoires doivent être embarqués pour reconstruire tous ensemble une histoire et un nouveau rapport au littoral. Même chose pour les stations de ski. On entend souvent dire que la solution d’avenir serait le développement du «quatre saisons». Non. Bien sûr, que l’activité touristique se diversifie est une bonne chose. Mais qui a envie, aujourd’hui, d’aller dans ces stations en plein été quand le bitume des parkings a remplacé la neige de l’hiver? Nous n’arriverons jamais à avoir la même fréquentation en été.»
«Il est très important de pouvoir définir aujourd’hui quels sont nos renoncements, sans quoi ils s’imposeront d’eux-mêmes.»
Timothée Hubscher
Pourquoi donc?
Timothée Hubscher: «C’est exactement comme pour les centre-villes. Lorsqu’un magasin sur deux est fermé, forcément vous avez le sentiment que ce centre-ville ne vit pas et vous finissez par ne plus vouloir y aller. Dans les stations de ski, l’été la plupart des magasins sont fermés; seuls un ou deux bars restent ouverts. Alors, sauf si vous êtes férus de randonnée, comment voulez-vous avoir envie de venir y passer vos vacances? Bref, on voit bien que le développement de l’offre touristique ne suffit pas. Il faut aussi régler la question de l’immobilier, notamment. Et, encore une fois, il faut mettre autour de la table tous les acteurs économiques afin de construire une nouvelle voie. Elle sera certes plus complexe à mettre en place que la seule diversification du tourisme, mais elle est indispensable Il est très important de pouvoir définir aujourd’hui quels sont nos renoncements, sans quoi ils s’imposeront d’eux-mêmes. A tous.»
Du même coup, c’est la fonction et le rôle des élus qui doivent être entièrement revus, non?
Timothée Hubscher: «Oui, absolument. Aujourd’hui on considère qu’on est élu sur un programme, et qu’on est là pour développer la stratégie de la commune ou de la station. Encore une fois, il faut revoir les choses de façon beaucoup plus collective. Évidemment, le maire aura toujours son rôle; il restera un acteur important du débat territorial, et ce sera à lui d’impulser les choses. Mais un plan validé par le seul conseil municipal ne suffit pas. Il faut un vrai dialogue de territoires, et que tous ensemble on s’interroge: «Quels seront, demain, les critères d’attractivité du territoire?». Une autre évolution est impérative: mettre fin à cette concurrence entre stations qui existe même entre celles d’une même communauté de communes. Cela pose une vraie problématique car les choix des uns auront forcément des impacts sur les autres. D’où la nécessité de cette stratégie collective. Mais pas seulement à l’échelle des villages, à celle des vallées.»
En cette période de crise démocratique, et face à la défiance croissante qui touche les élus, les choses ne s’annoncent-elles pas particulièrement ardues?
Timothée Hubscher: «Selon moi, cette défiance est souvent due à des promesses qui n’ont pas pu être tenues en raison de contraintes économiques ou conjoncturelles, notamment. Bien souvent, les élus portent cela seuls, et cela ne les aide évidemment pas. Au contraire, impliquer plus fortement les acteurs du territoire les aidera forcément. C’est, à mon avis, une nouvelle manière de porter un mandat. Et c’est nécessaire, sans quoi les choses seront vécues de façon encore plus difficile. Je pense tout particulièrement au littoral où certains choix de repli nécessaires ne seront pas du tout simples à accepter. Du moins si on les impose en répondant à une urgence. Les élus ont tout intérêt à impliquer en amont la population et les acteurs économiques.