Joseph Dellatte, chercheur en politique climatique pour l’institut Montaigne à pris de son temps pour répondre à nos questions sur les énergies renouvelables et la décarbonation.
La collaboration des continents dans des enjeux climatiques
Il faut déjà parler d’échelle. Quand vous voulez décarboner le monde, vous ne pouvez pas le faire sans les géants asiatiques. Évidemment, la Chine. Mais, la relation entre ce qui se passe en Europe, qui est quand même la zone qui se décarbone le plus vite et qui a les politiques les plus strictes en matière de climat et l’Asie, elle est centrale. Vous devez avoir des politiques de coopération en matière de politiques publiques et de technologies. On importe énormément de biens depuis l’Asie. Donc, si on n’est pas capable de décarboner nos importations, notre bilan carbone général explose. Et au-delà de ça, comment faire en sorte que les pays asiatiques puissent accélérer leur décarbonation. Afin qu’on puisse atteindre cette neutralité carbone qui n’est que dans 26 ans. On doit absolument accélérer !
Les meilleurs et les moins bons sur la décarbonation
La réalité, c’est qu’on a en Europe une ambition très importante avec des objectifs et des mécanismes de contraintes. C’est le cas de certaines tarifications du carbone. Vous avez en Asie des politiques climatiques qui sont mises en place, cependant, elles sont beaucoup moins contraignantes pour la plupart des pays. La Chine, par exemple, à un marché carbone, mais qui n’est pas réel. C’est un marché qui augmente d’année en année, dont la quantité d’émissions est toujours en train d’augmenter.
On pense que peut-être, il y aura dans les prochaines années un pic. Ça pourrait être cette année, ça pourrait être dans quelques années, mais quoi qu’il arrive, pour atteindre la neutralité carbone, la Chine aura encore de très nombreuses politiques et efforts à mettre en place. L’objectif de cette coopération, c’est de la surveillance, mais surtout faciliter cette décarbonation. Par exemple, certaines politiques climatiques mises en place en Chine ont été rédigées avec la Commission européenne. C’est le cas du marché carbone. Certaines d’entre elles sont faites en collaboration avec des cofinancements.
Le pouvoir de l’Europe sur la décarbonation mondiale
L’Europe est un marché très important et on est surtout un pouvoir de régulation. Donc l’Union européenne, en étant pionnière, a créé des nouvelles politiques qui n’existaient pas et donc qui peuvent être copiées. La Corée est un bel exemple. Elle a développé certaines politiques en copie à ce qui se passe en Europe. Aussi, on met en place le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières en Europe. On pensait que ça allait vraiment impacter négativement nos relations.
Cependant, bien qu’il y ai toujours eu une relation un peu tendue avec la plupart des pays du monde qui nous exportent des biens, il y a aussi beaucoup d’effets positifs. Notamment le fait que beaucoup de pays sont en train d’adapter leur politique climatique en réalisant que l’Europe va mettre une tarification à ses frontières pour les biens qu’elle importe. De ce fait les pays du monde se disent : « Il faut changer notre propre politique afin de s’adapter à ce changement ». Et ça, on le voit vraiment au Japon, en Corée mais également en Chine !
Une réelle ambition de se décarboner pour des pays comme la Chine ?
Il y a deux facteurs moteur en Chine. Le premier facteur, c’est le développement économique. La Chine a pour l’instant, un grand challenge de renouvellement de son modèle économique avec une croissance qui est de 4%, mais en réalité, qui est très atone pour l’économie chinoise et qui essaye de trouver des nouvelles voies de développement. Ces nouvelles voies de développement, c’est les technologies vertes. Le deuxième facteur, c’est continuer à pouvoir commercer avec des régions du monde qui vont avoir besoin de ces technologies et qui ne vont plus permettre la venue de biens qui n’auront pas été produits avec moins d’émission.
Une avancée vers du positif ?
Il ne faut pas être naïf. La Chine reste le premier émetteur mondial, qui additionne encore une quantité absolument colossale de charbon, et de plus en plus par année. De plus, elle met comme politique centrale dans sa politique énergétique, la sécurité énergétique. C’est-à-dire qu’à partir du moment où vous mettez une très grosse quantité d’énergie renouvelable, vous avez toujours une politique parallèle très intensive en énergie afin de garantir un approvisionnement.
La Chine, se voyant comme l’usine du monde, a besoin d’énormément d’énergie pas chère et malheureusement ça reste l’énergie du charbon, le pétrole et le gaz. Il y a toujours cette tendance à vouloir faire les deux, ce qui fait qu’au final, pour le climat, on n’y est pas encore. D’ailleurs, la Chine est neutre en carbone en 2060 et pas en 2050. Elle a une ambition plus lointaine, partant du principe qu’elle a émis moins par le passé, mais à l’heure actuelle, c’est de très loin le premier émetteur mondiale. Il y a de quoi se dire qu’il y a un début de réaction chez les grands asiatiques, mais il y a également de quoi être très inquiet sur l’addition des unités fossiles.
Une bascule vers des énergies vertes
La bascule est déjà en cours. Le problème, c’est qu’en Chine, on parle d’addition de nouvelles d’énergie parce que la croissance de la production reste encore très importante. Du coup, on additionne des nouvelles énergies et dans cette addition, une grande partie est désormais faite par les énergies renouvelables. Mais le problème, c’est que vous n’avez pas besoin de remplacer uniquement les additions, vous allez remplacer également passif.
L’hydrogène et ses cas d’usages
L’hydrogène, c’est une molécule qui pourrait servir à faire de l’énergie. C’est deux atomes qui peuvent servir à faire de la chaleur et être vecteurs d’énergie. Il y a plein d’applications possibles pour l’hydrogène. C’est très souvent créé par vaporeformage du méthane. Donc, vous cassez une molécule de gaz traditionnelle, pour créer des molécules de dihydrogène. Traditionnellement, ce qu’on appelle l’hydrogène vert, c’est de l’électrolyse de l’eau à base d’énergie renouvelable. Vous pouvez donc utiliser cet hydrogène pour plein d’applications. La plupart des applications qui vont requérir cet hydrogène, c’est l’industrie. Les usages déjà actuels de l’hydrogène sont, dans la raffinerie et dans la chimie, en tant que matières premières. Mais les nouveaux usages de l’hydrogène dans l’aciérie, la cimenterie, sont en train d’émerger. Si vous voulez décarboner ces biens de production, l’acier, le ciment, une grande partie de la chimie, de l’aluminium, etc… Vous allez avoir besoin d’hydrogène.
C’est un grand enjeu pour l’Europe, pour tous les pays qui veulent avoir une industrie, de pouvoir sourcer cet hydrogène localement, où en l’important. Et là, vous avez des challenges absolument massifs qui est que le transport de l’hydrogène, soit par pipeline, soit en hydrogène liquide, requiert des défis technologiques conséquents.
Le transport de l’hydrogène est aussi compliqué que le gaz ?
C’est intéressant de prendre le cas du Japon. Le GNL a été inventé par les Japonais, car ils avaient besoin d’importer du gaz et ils n’étaient pas dans la capacité d’importer sous forme de pipeline étant dans la géographie et la géopolitique qu’ils ont dans leur entourage. Et donc, la particularité est qu’ils ont voulu créer des capacités d’importer du gaz moins cher, notamment du Golf. Et c’est grâce à ça qu’ils ont eu ce déclic technologique. Aujourd’hui, les Japonais essayent de faire la même chose avec l’hydrogène, sauf que l’enjeu est beaucoup plus compliqué. Pour liquéfier de l’hydrogène, il vous faut atteindre moins 273 degrés et transporter l’hydrogène liquéfié dans ces conditions sur des milliers de kilomètres, c’est un enjeu technique et énergétique conséquent. Vous perdez énormément d’énergie quand vous le faites, donc ça rend votre équation très complexe.
A quelle horizon nous aurons un hydrogène plus vertueux ?
La réalité, c’est que l’hydrogène vert, n’est dans la législation qu’en Europe. La plupart des pays du monde sont en train de créer des législations sur l’hydrogène qui visent un certain seuil d’émission par kilo d’hydrogène. Contrairement au label à l’européenne qui oblige l’hydrogène à être produit sur base d’électrolytes avec de l’énergie renouvelable. Ici, on n’est pas du tout sur ça dans la plupart des pays du monde. Aux États-Unis, vous avez des réglementations beaucoup plus lâches avec des conséquences qui peuvent être d’ailleurs négatives pour le climat.
La réalité, c’est que l’horizon de besoins en hydrogène, c’est après les années 2030. Là, vous avez un switch de process de la plupart des industries qui va devoir se faire et qui là va faire en sorte que vous avez une demande très importante. Avant ça, la demande va augmenter graduellement. La production actuelle d’hydrogène vert est minime, même dans des régions comme l’Europe, mais les ambitions sont très importantes.
Si vous écoutez les ambitions mises dans les textes européens à l’heure actuelle, c’est 10 millions de tonnes produites en Europe à horizon 2030 et 10 millions additionnels produites dans notre voisinage et importées. Donc, singulièrement de Norvège, d’Ukraine, et d’Afrique du Nord. Certains diront que c’est irréaliste, et vraiment énorme. Mais l’ambition est là et l’idée étant de créer un marché. Mais vous ne créez pas un marché comme ça. Pour créer un marché, il faut de l’offre, il faut de la demande, il faut prendre des risques.
L’hydrogène pour les mobilités très lourdes
Vous avez besoin de l’hydrogène, notamment pour pouvoir recombiner avec du CO₂ pour recréer du gaz. Et grâce à ça, vous pouvez créer des e-fuels, qui permettraient de remplacer le fioul fossile par un fioul qui deviendrait neutre en carbone, ou négatif en carbone. Ces e-fuels vont servir à décarboner des secteurs qui sont difficilement décarbonables. C’est le cas de l’aviation, c’est le cas du transport maritime, où on envisage de manière assez difficile la possibilité de passer aux batteries. Il y a d’autres projets technologiques un peu fous à voile. Mais si on veut être réaliste, il y a de fortes chances que ça passe par des fiouls. Et le seul fioul possible, c’est soit de l’hydrogène liquide, de l’ammoniaque, ou des nouveaux e-fuels qui nécessitent de l’hydrogène pour être créés.
L’hydrogène sur le transport lourd c’est pas pour maintenant
La réalité, c’est que l’hydrogène demande pour être produite une très grande quantité d’énergie. Or, la réalité c’est que le besoin en électricité va augmenter. Notre capacité de production n’est pas infinie, et particulièrement en Europe. Donc, le fait est que nous allons devoir créer des conditions pour produire plus d’électricité et transformer une partie de cette électricité en hydrogène. Le besoin d’électricité que pourrait représenter cette production d’hydrogène est très important. Donc, si vous ne pouvez pas à la fois décarboner votre réseau et produire l’électricité nécessaire à créer l’hydrogène pour décarboner le reste des réseaux, on a un problème. Donc l’enjeu, il est là. C’est le fait de produire de l’électricité décarbonée et d’augmenter cette production d’électricité décarbonée de manière conséquente tout en menant en même temps le côté des politiques de sobriété.