Alors que le gouvernement s’apprête à dresser son bilan d’étape à l’occasion des six mois de la mise en place du bonus covoiturage, nous avons souhaité faire le point. Quelle est la part des «chasseurs de prime»? Où co-voiture-t-on le plus au quotidien? Et quel est le rôle des collectivités locales pour assurer le succès de cette solution? Responsable du développement chez Karos France (spécialité du covoiturage de courte distance), Tom Attias nous a donné ses réponses.
Après un mois de mars record, le covoiturage de courte distance a marqué un net recul en avril et mai. Selon vous, pourquoi?
Tom Attias: «Ce recul est relatif. En fait, les chiffres donnés par l’Observatoire National du Covoiturage au Quotidien sont revenus au niveau de février, et plusieurs facteurs viennent l’expliquer. En avril, nous avons eu les vacances de Pâques, qui ont été extrêmement étalées. En mai, les ponts ont été particulièrement nombreux cette année. Dans ce contexte il y a forcément moins de trajets du quotidien.»
Les chasseurs de bonus, fantasme ou réalité?
Tom Attias: «Ils existent, oui. Nous venons de réaliser une étude dans laquelle nous avons interrogés plus de 20 000 de nos covoitureurs, de même que nous nous sommes penchées sur nos données. Les covoitureurs Karos qui se sont arrêtés pile poil au dixième trajet représentent 4%. En 2022 ils étaient 2%. Cela reste donc extrêmement marginal.»
Marginal certes, mais ce chiffre a tout de même doublé…
Tom Attias: «Pour nous, trois raisons majeures. D’abord, en 2022 la prime était de 20 euros et non de 100 euros. Elle n’était pas réglée par virement bancaire mais en bons d’achat. De plus, gouvernement et opérateurs ont beaucoup communiqué sur le covoiturage et sur cette prime. La notoriété de celle-ci (et de ces fameux dix trajets) a donc forcément joué. Enfin, la crise et le baisse du pouvoir d’achat poussent de nombreux Français à faire des économies et à trouver des astuces. L’effet d’aubaine a pu jouer, donc. Néanmoins, il faut garder en tête une chose: bonus ou non, ces 100 euros, c’est ce que gagne chaque mois (en moyenne) un covoitureur Karos. Et sans changer ses habitudes.»
Votre enquête montre aussi le rôle essentiel des collectivités locales. Quel est-il?
Tom Attias: «Nous sommes partenaires d’une quarantaine de collectivités. Nous nous sommes penchés sur notre base utilisateurs pour savoir où se situent géographiquement ceux qui co-voiturent le plus. Et nous nous sommes rendus compte que c’est dans les collectivités locales qui ont mis en place un subventionnement que les covoitureurs sont les plus fidèles à la solution. En clair, plus les collectivités subventionnent le covoiturage, plus les gens continuent à covoiturer, comme conducteurs ou comme passagers.»
Quelles sont celles où l’on covoiture le plus?
Tom Attias: «En valeur absolue la région Ile-de-France est de loin la numéro 1, suivie de la Normandie et des Pays de Loire. Mais si l’on parle en relatif (c’est-à-dire au nombre de trajets par habitant), c’est sur l’ile de la Réunion qu’on covoiture le plus. Si les collectivités sont essentielles puisqu’elles mettent en place les conditions pour que cela fonctionne, nous avons aussi fortement besoin de l’engagement et du relais des prescripteurs locaux que sont les entreprises et les campus étudiants. A la Réunion, en l’occurence, nous avons plus de 150 sites représentant pas moins de 30 groupes qui relaient la solution auprès de leurs salariés ou de leurs étudiants.»
BlablaCar s’attend à un été record, avec 20% d’utilisateurs en plus par rapport à 2022. Et vous, quelles sont vos perspectives?
Tom Attias: «Chez Karos, l’été est au contraire une saison faible. Forcément, 99% de nos utilisateurs sont des gens qui vont au travail ou en cours. Mécaniquement nous divisons donc par deux (environ) nos volumes. Ce qui n’empêche que nous continuons évidemment de travailler. D’abord, entre juilletistes et aoutiens il y a toujours des gens qui travaillent. Mais il y a aussi toutes ces professions que nous accompagnons toute l’année et qui n’ont jamais de vacances. Parmi nos partenaires, je peux vous citer entre autres les équipes de l’AP HP, les centres hospitaliers de Cholet ou de Grenoble, les parcs à thème comme le Puy du Fou, le Parc Asterix ou le Futuroscope etc… etc…»
Pour conclure, le succès de ce bonus covoiturage a-t-il changé d’une manière ou d’une autre votre modèle économique?
Tom Attias: «Non, il reste le même, et le restera toujours: faire du covoiturage monétisé, c’est-à-dire accompagner les collectivités et les entreprises dans leur projet de covoiturage, et faire en sorte que notre chiffre d’affaires soit généré par la vente de nos services. En revanche, cette prime a changé une chose: nous faisons entre 3 et 5 fois plus de covoiturages que l’année dernière. C’est donc un très bel accélérateur, même si nous souhaiterions qu’il le soit encore davantage. Le covoiturage enregistre encore un vrai déficit de notoriété. Beaucoup connaissent celui de longue distance avec BlablaCar, mais la courte distance est moins connue. La sensibilisation ne doit pas reposer sur les seuls opérateurs. Nous attendons que le gouvernement s’engage encore plus aux côtés des opérateurs dans la sensibilisation des Français face à ces enjeux.»