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Opéra de Paris : L’excellence artistique face aux grands défis environnementaux

par Laurent F.

Depuis 2015, l’Opéra de Paris opère sa transition écologique. Directrice déléguée en charge du pilotage de la stratégie, des investissements et du développement durable, Violaine Charpy a accepté de faire le point avec nous sur les avancées déjà enregistrées ainsi que sur les principaux chantiers en cours.

Violaine Charpy @DR – OnP

Que représente le défi de la transition écologique pour une structure comme la vôtre ?

Violaine Charpy : L’Opéra de Paris dispose de quatre sites : l’Opéra Bastille, le Palais Garnier, l’École de danse de Nanterre, et les Ateliers Berthier. À eux tous, ils représentent 185 000 m2 à chauffer et à ventiler, et accueillent chaque année 400 représentations pour près de 816 000 spectateurs en 2022/23, et plus d’un million de visiteurs au Palais Garnier. Concrètement, tout cela se traduit par une consommation électrique totale qui s’élève à 17 800 MWh, soit l’équivalent dune ville de 8 000 habitants. Cette transition constitue donc un défi absolument majeur.

L’Opéra de Paris est engagé dans cette voie depuis dix ans. Quelles ont été les avancées les plus significatives jusquici ?

Violaine Charpy : Depuis 2015, nous avons enregistré une baisse de nos consommations d’électricité de 10% et de notre consommation d’eau de 30%, permise par la rénovation des équipements de l’ensemble des sites. Et cette optimisation s’est accélérée depuis 2022. Nous avons notamment installé des compteurs Smart Impulse qui permettent d’affiner la gestion des consommations par zone, et de planifier le remplacement des appareils énergivores. Nous avons par ailleurs modifié les températures de consigne de nos bâtiments en passant de 21° à 19° dans l’ensemble des locaux, et de 24° à 22° pour les espaces artistiques. Par ce biais, entre l’hiver 2021/2022 et l’hiver 2022/2023 nous sommes parvenus à baisser de 11% la consommation d’électricité et de 27% celle du chauffage. Et nous entendons bien poursuivre cette dynamique. C’est pourquoi nous avons inscrit nos théâtres au concours Cube Etat.

De quoi s’agit-il ?

Violaine Charpy : C’est un concours d’économies d’énergie organisé par l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment (IFPEB) et différents partenaires. S’il existe depuis dix ans, pour la première fois cette année des structures publiques ont été invitées à participer. Ce concours nous permet de bénéficier de l’accompagnement d’experts pour optimiser encore nos consommations. Jusqu’ici, nous travaillions surtout sur l’exploitation technique et sur la qualité du bâti. Ce qui nous intéresse tout particulièrement avec le concours Cube État, c’est qu’il se consacre surtout à l’impact des «usages». Et, à l’échelle de notre structure, les petits gestes de chacun peuvent être très significatifs !

«L’ambition est de prendre en compte progressivement l’ensemble de la dimension environnementale. Et ceci, dès la phase de conception des projets artistiques,»

Violaine Charpy

Revenons aux avancées. Quelles sont celles qui sont visibles du public et/ou des artistes ?

Violaine Charpy : L’objectif est de réduire notre impact environnemental tout en maintenant l’ambition et l’excellence artistiques de nos productions. Depuis plusieurs années, nos ateliers travaillent sur l’éco-conception des décors et costumes à travers la recherche et l’emploi de matériaux moins polluants, de bois locaux, de peintures recyclées… L’ambition est de prendre en compte progressivement l’ensemble de la dimension environnementale. Et ceci, dès la phase de conception des projets artistiques, en considérant les enjeux de fabrication, de stockage, de transport, et même de fin de vie des décors. Enfin, la question du réemploi de ces décors se pose aussi.

Semelles roulantes et béquilles réutilisables en acier – décors Lohengrin ©Eléna Bauer – OnP

À ce propos, quest-ce que le collectif 17h25 auquel vous adhérez ?

Violaine Charpy : Ce collectif, créé en 2019, rassemble cinq institutions : le Festival d’Aix-en-Provence, l’Opéra de Lyon, le Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles, le Théâtre du Châtelet et l’Opéra de Paris. Cette démarche innovante vise à partager les bonnes pratiques et à travailler ensemble à tous les niveaux où nous pouvons agir pour réduire l’impact environnemental du spectacle vivant. Depuis 2022 (et jusqu’en 2025), le collectif 17h25 travaille notamment sur un ambitieux projet de standardisation des éléments structurels de décors.

Je sais bien que le terme «standardisation» est un gros mot quand on travaille dans l’artistique, mais l’idée est d’agir seulement sur les structures qui portent les décors, non sur les éléments visibles par le public. En fait, il s’agit de créer un socle commun de structures compatibles avec les spécificités des différents théâtres. Ainsi, les déplacements de décors ne se limiteront plus qu’aux seuls éléments artistiques. Et à terme, ce sera moins de fabrications, moins de transports sur les routes, et moins de déchets générés.

Grande salle de l’Opéra Bastille © C. Leiber – OnP

Autre volet, la sensibilisation et la formation de vos collaborateurs…

Violaine Charpy : Nous nous sommes lancés cette saison dans une grande campagne de sensibilisation de l’ensemble de nos 1 800 salariés en organisant notamment des conférences thématiques, des sessions Fresque du climat et des formations métiers. Par ailleurs, nous avons mis en place au printemps 2023 un réseau de référents durables qui réunit vingt-six représentants des directions techniques, artistiques et administratives. À travers ce réseau, nous avons pu constater une grande mobilisation et une forte attente des équipes. Il est essentiel d’être à la hauteur en répondant le plus efficacement possible à tous ces enjeux ! Enfin, nous comptons aussi amener progressivement cette sensibilisation au niveau des publics. Nous avons un devoir d’exemplarité et pouvons contribuer à l’évolution de chacun, même si nous le savons bien : il reste encore un grand chemin à parcourir !

«Intégrer les enjeux environnementaux n’est pas une entrave à la liberté de création artistique, même si c’est une inquiétude que l’on peut ressentir à différents niveaux.» 

Violaine Charpy.

Justement, y a-t-il des postes qui vous posent plus de difficultés que dautres ? La transition écologique et les mesures quelle impose peuvent-elles avoir leurs limites, parfois ?

Violaine Charpy : Comme le dit notre Directeur Général Alexandre Neef, «l’art naît de la contrainte». Intégrer les enjeux environnementaux n’est pas une entrave à la liberté de création artistique, même si c’est une inquiétude que l’on peut ressentir à différents niveaux. L’enjeu est donc de pouvoir démontrer le contraire. Autre limite : près de la moitié de notre impact carbone concerne la mobilité de nos publics. Chaque soir, nous comptons environ 20% de spectateurs venant de l’étranger. Agir sur cela est difficile, mais l’idée est de progressivement pouvoir inciter à des pratiques plus responsables, en développant par exemple des offres de mobilité douce ou en procédant à des aménagements comme des parkings à vélo pour que nos spectateurs puissent venir plus facilement jusqu’à nous une fois qu’ils sont à Paris.

Opéra Bastille ©E.-Bauer-OnP

Et pour la mobilité de vos collaborateurs ?

Violaine Charpy : En 2022, nous avons ajouté une clause aux contrats des artistes invités : si, pour venir ils ont la possibilité de faire un trajet en train de moins de cinq heures alors ils sont incités à le faire. En cas de refus de leur part, l’Opéra ne prend pas en charge le trajet. Par ailleurs, nous avons lancé en septembre 2023 une troupe de chanteurs lyriques en résidence. Au cours de la saison 2023/2024, cette troupe assurera trente rôles dans la programmation, ce qui signifie a minima trente déplacements en moins, internationaux le plus souvent. Bien sûr, le retour d’une troupe lyrique à l’Opéra de Paris est avant tout un beau projet artistique, mais cela a aussi un impact favorable sur les déplacements générés par nos activités.

Enfin, en septembre dernier là encore, nous avons réalisé un sondage auprès de l’ensemble des salariés pour connaître leurs habitudes en termes de déplacements domicile-travail. Ils se déplacent majoritairement en transport en commun, et plus de 20% à vélo. Pour les accompagner, nous mettons en place un Forfait Mobilité Durable qui est en cours de négociation. Il inclura, sur chaque site, de nouveaux aménagements, comme l’agrandissement des locaux à vélos, la mise en place de casiers et de bornes de recharges pour les vélos électriques.

Pour conclure, les toits de lOpéra Bastille sont le lieu d’une activité que Parisiens et touristes ignorent bien souvent. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Violaine Charpy : Nous disposons de 2 540 m2 de toitures végétalisées cultivées en agro-écologie, dont environ 480 m2 de potager. Dix ruches peuplées de plusieurs milliers d’abeilles ont aussi été installées sur les toits du Palais Garnier et de Bastille, même si elles ont été déplacées de Garnier à l’Ecole de danse pour ne pas être impactées par les travaux en cours. À Bastille, nous avons aussi pour projet d’aménager dans les prochaines années des surfaces supplémentaires afin de répondre aux enjeux de la biodiversité. Et nous réfléchissons à la pose de panneaux photovoltaïques à moyen terme.

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