Conseillère municipale en charge de la transition énergétique, Stéphanie Soares a initié le tout premier budget climat qui vient d’être adopté par l’ensemble du conseil municipal de Courbevoie. Une démarche rare qui témoigne du fort engagement de la municipalité des Hauts-de-Seine dans les enjeux de décarbonations des politiques publiques. Elle nous explique la démarche, et nous précise comment s’est construit ce budget quasi inédit.
Un mot d’abord sur les engagements durables de la municipalité de Courbevoie. Quelle est la politique menée, et quels sont les projets?
Stéphanie Soares: «Aux côtés du Maire Jacques Kossowski, nous menons une politique résolument volontariste en matière de transition énergétique et écologique. J’ai coutume de dire que Courbevoie est une ville pilote et exemplaire sur le plan de la transition énergétique. Concrètement, nous déployons toute une série d’actions: verdissement de notre réseau de chaleur, plan de sobriété, rénovation énergétique des logements du parc privé dans le cadre d’une OPAH, soutien aux mobilités douces, aménagements d’îlots de fraîcheur, ateliers «petits jardiniers» à destination des écoliers de la ville pour les sensibiliser aux enjeux de biodiversité avec le concours de l’Education nationale et d’associations environnementales.
Nous avons très tôt procédé à des investissements structurants pour soutenir la transition énergétique. Ils nous ont d’ailleurs permis de résister à la crise énergétique de 2021-2022 et de réaliser de réelles économies. Je pense en particulier à notre contrat de performance énergétique pour nos bâtiments publics. En quatre ans, nous avons déjà économisé 2,1 millions d’euros. En 2023 et 2024, nous avons ainsi consacré environ 10% de nos dépenses réelles d’investissement à des opérations environnementales. Nous venons encore d’annoncer, début octobre, l’installation d’une centrale photovoltaïque sur le toit de l’Hôtel de ville pour consommer l’énergie produite, soit l’équivalent de 26 logements.
S’ajoutent à ces actions, la mise en place d’outils de suivi et de pilotage. Je pense notamment au jumeau numérique pour le suivi de nos consommations énergétiques, ou encore au tout récent Bilan des Emissions de Gaz à Effet de Serre (BEGES) qui nous donne une photographie précise de nos émissions. Aujourd’hui, nous voulons aller plus loin en nous dotant d’une stratégie à moyen/long terme. La planification écologique à vocation aussi à s’appliquer à l’échelle d’une ville comme Courbevoie. Et c’est en cela que le budget climat que j’ai présenté lors du dernier conseil municipal revêt une importance toute particulière.»
«Le travail va se poursuivre à la fois en interne, en partageant aussi notre expérience avec d’autres collectivités et, bien sûr, en lien avec les Courbevoisiens.»
Stéphanie Soares
Quels sont ses objectifs?
Stéphanie Soares: «L’enjeu, à court terme, est d’ouvrir les discussions en lien avec la construction du budget 2025 et mettre en place un plan d’actions en réfléchissant de manière globale sur la trajectoire de réduction de notre empreinte carbone et à l’échelle de chacune de nos politiques publiques. Ma conviction: nous devons aussi porter une vision à moyen/long terme avec des objectifs pluriannuels. C’est la continuité et la cohérence de nos actions qui permettront d’atteindre la trajectoire.
Il faudra aussi se lancer sur le volet «adaptation» et celui relatif à la biodiversité. Le travail va donc se poursuivre à la fois en interne (élus et services), en partageant aussi notre expérience avec d’autres collectivités et, bien sûr, en lien avec les Courbevoisiens (conseils de quartiers, comités consultatifs …). Tout est ouvert car, sans la pédagogie et l’envie, nous nous priverions de l’énergie et de la créativité nécessaires à la réussite de cette transition.»
Comment a été mené ce budget climat? Que recouvre-t-il?
Stéphanie Soares: «Ce premier budget climat a été construit sur la base d’une méthodologie reconnue par les pouvoirs publics et mise à la disposition des collectivités par l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE). Nous avons analysé tout ce qui a un impact sur la diminution des GES. La biodiversité et la gestion des ressources n’y sont pas encore intégrées. Bien évidemment, ces enjeux ne sont pas occultés, mais il fallait d’abord construire une première matrice et nous familiariser avec la démarche. Nous aborderons ensuite ces aspects, car c’est un processus de moyen-long terme que nous engageons. Au total, plus de 400 lignes budgétaires (budget principal et cantine) et plus de de 200 millions d’euros de dépenses ont été passes au crible, et classées en quatre catégories par rapport à leur impact carbone: «Très favorables», «Favorables sous conditions», «Neutres», «Défavorables».»
Pour quels résultats, concrètement?
Stéphanie Soares: «Pour ce premier budget climat, 64% de dépenses sont considérées comme neutres. Cela s’explique assez bien: les retraitements de frais de personnel, la partie RH est importante. Par ailleurs, 22% des dépenses sont favorables et très favorables et 4% des dépenses défavorables. Ces 4% représentent 8 M€. Il s’agit principalement des dépenses pour l’achat d’énergies fossiles, de gaz sans garantie d’origine renouvelable ou de carburant, de location de transports collectifs à motorisation thermique.
Parmi les dépenses favorables, 14% sont favorables sous condition, représentant 27 M€, et 8% très favorables, représentant 16 M€. Il s’agit là des dépenses d’entretien des voiries pour la mobilité douce, des achats de véhicules électriques, de tables de tri, du soutien aux vélos électriques, ou encore de l’entretien des espaces verts et arborés qui participent de la lutte contre les îlots de chaleur. Nous y intégrons également l’ensemble des dépenses liées au réseau de chaleur.»
Seule une centaine de ces budgets climat ont été mis en place en France. Y en a t-il qui vous ont plus spécifiquement servi de modèle(s) ou qui vous ont inspiré ?
Stéphanie Soares: «Effectivement, il y a encore très peu de budgets climat en France. Nous avions donc peu de points de comparaison à l’exception de quelques communes des Hauts-de-Seine ou de Seine-Saint-Denis. Etant parmi les premiers à nous y être attelés, nous sommes prêts à partager notre expérience avec d’autres villes qui souhaiteraient se lancer. D’ailleurs, je tiens à préciser que nous avons précédé les obligations issues de la loi de Finances 2024 et que nous sommes allées au-delà de ce qui est imposé en intégrant à notre analyse nos dépenses d’investissement et de fonctionnement. L’élaboration de ce budget climat a donc nécessité un important travail transversal de plus d’un an avec les services de la Ville. C’est un chantier qui a mobilisé les équipes techniques (énergie et développement durable) et, bien sûr, la Direction des finances.»
Faut-il considérer ce budget climat comme le budget 2025 global de la Ville ou servira-t-il de socle sur les différents dossiers liés à la transition écologique?
Stéphanie Soares: «Comme je le disais précédemment, l’enjeu est maintenant d’ouvrir les discussions sur la base de cette analyse pour construire le budget 2025 de la Ville et définir la trajectoire de réduction de son empreinte carbone.»
Pour conclure, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale le projet de loi de Finances 2025 prévoit d’importantes coupes budgétaires pour les collectivités. Si la loi est adoptée, quel en sera l’impact sur une ville comme Courbevoie?
Stéphanie Soares: «Contrairement à une apparente stabilité du budget dédié à la transition écologique, le projet de loi de finance 2025 prévoit des coupes budgétaires sur des dispositifs emblématiques (Fonds vert, MaPrimRénov’…). S’y ajoute en particulier une ponction de 5 milliards d’euros sur les collectivités. Pour Courbevoie, cela représente près de 4 millions d’euros! Tout ceci fait craindre une rétractation brutale de l’investissement local alors que cet investissement est incontournable pour la décarbonation de nos activités.
Ces choix vont d’ailleurs à l’encontre des recommandations du Haut Conseil pour le Climat selon lesquelles nous devons investir 60 à 70 milliards d’euros supplémentaires chaque année pour respecter les engagements pris par la France pour atteindre la neutralité carbone. C’est pourquoi, à Courbevoie, nous tenons à maintenir le cap. Nous avons bien conscience de l’urgence climatique et de la nécessité de porter ces enjeux cruciaux, pour ne pas dire vitaux, avec et auprès des Courbevoisiens.