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Willy Fortunato, Directeur Général d’UV Germi: «Sur la question de l’eau la réglementation actuelle empêche la mise en place de solutions intelligentes»

par Laurent F.

Dans ses deux récentes interventions (les 21 et 24 juillet), Emmanuel Macron a répété ce qu’il avait déjà soulevé à la fin mars dans le cadre de l’annonce du Plan Eau,. A savoir l’intention du gouvernement de faire de la lutte contre la sécheresse une priorité. Pour ce faire, ce Plan en appelle à la sobriété de nos consommations, et s’accompagne de quelques «fermes» intentions. Parmi elles, la question du gaspillage causé par les trop nombreuses fuites, mais aussi la réutilisation des eaux usées qui représentent en France seulement 1% du volume. Une situation aberrante que dénonce Willy Fortunato, Directeur général d’UV Germi. Cette entreprise corrézienne (spécialiste des solutions de traitement des eaux, de l’air et des surfaces) équipe aujourd’hui de nombreuses stations d’épuration partout en France, mais aussi plus de 2 500 piscines publiques et bientôt les quinze bassins olympique des J.O. de Paris. Pour le spécialiste, c’est notamment toute la notion d’Eau potable-Eau usée qu’il faut urgemment (et profondément) revoir! 

Nausicaa, à Boulogne-sur-mer @UV Germi

Pouvez-vous nous présenter UV Germi et ses techniques de traitement des eaux, des airs et des surfaces par la technologie UV?

Willy Fortunato: «La technologie UV pour traiter l’eau potable ne date pas d’hier, puisqu’elle a été installée en 1909 à Marseille, mais -pour tout un tas de raisons- elle n’était pas assez mature. Plus tard, dans les années 1920-1930, elle a été utilisée dans les écoles et les hôpitaux américains pour la désinfection de l’air et des surfaces. Toutefois, il aura fallu attendre les années 1990 pour que la technologie commence à s’imposer vraiment. Le PDG et fondateur d’UV Germi, André Bordas, avait à cette époque une entreprise de fournitures industrielles qui était principalement tournée vers l’agriculture. La chambre d’agriculture de Corrèze (où nous sommes basés) a alors passé un appel d’offre afin de déployer (entre autres) des réacteurs UV pour le traitement des eaux. André Bordas y a répondu et l’a remporté. 

En 1995, il a donc commencé à intégrer cette technologie au sein des offres de son entreprise. Jusqu’à ce qu’il créé UV Germi en 2009 pour séparer les deux activités. Mais pour être compétitifs face au marché américain, nous avons beaucoup investi dans la R&D. Pour ce faire, nous avons fait coter UV Germi en Bourse en 2017. Ce qui fait de nous la seule entreprise corrézienne cotée en Bourse, au second marché.»

Piscine de Granville @UV Germi

Vous tenez fortement à votre ancrage territorial, qui est votre «marque de fabrique»…

Willy Fortunato: «Oui, la notion de territoire est profondément ancrée dans notre ADN. Dès le départ, nous nous sommes dits que, dès que nous aurons besoin de faire appel à la sous-traitance, nous essayerons toujours de la trouver autour de chez nous. Et nous nous y sommes tenus. Aujourd’hui nous sommes French Tech, French Fab, et nous sommes Origine Corrèze puisque plus de 70% de la valeur ajoutée est apportée à l’intérieur du département. Et non seulement nous continuons sur cet axe, mais nous le développons. Certains composants électroniques sont introuvables en Europe. J’ai donc demandé aux équipes de développement d’y travailler afin qu’ils puissent être bientôt disponibles en Europe, vraisemblablement en Nouvelle Aquitaine.»

«Les stations d’épuration mises en place un peu partout sur le territoire depuis les années 1960-1970 ne sont absolument pas équipées pour traiter le risque biologique.»

Willy Fortunato, D.G. UV Germi

Emmanuel Macron vient de répéter sa volonté de faire de la lutte contre la sécheresse une priorité. Dans la gestion de nos eaux, quels sont selon vous les principaux enjeux, et surtout les principales urgences?

Willy Fortunato: «Il s’agit d’abord d’améliorer la sécurité sur le traitement des eaux potables. Avec la diminution de la ressource on observe un réchauffement des eaux souterraines, et donc une forte augmentation des micro-organismes tels que les virus ou les bactéries. Malheureusement, les stations d’épuration mises en place un peu partout sur le territoire depuis les années 1960-1970 ne sont absolument pas équipées pour traiter le risque biologique. Or, on l’a bien vu lors de la crise sanitaire: virus et bactéries se retrouvent dans notre eau qui est un formidable marqueur de l’activité humaine. Traiter les eaux usées avant leur rejet en milieu naturel, ou pour leur réutilisation vers ce qui ne nécessite pas d’eau potable, est une nécessité absolue. Et même une urgence. Mais, pour cela, il faut absolument qu’en France nous sortions de cette dualité Eau potable-Eau usée.»

De quelle dualité parlez-vous?

Willy Fortunato: «Il semble évident que pour remplir la cuvette de nos toilettes, par exemple, nous n’avons pas besoin d’eau potable. Et bien la réglementation actuelle l’exige. Comme elle exige que les piscines publiques soit remplies d’eau potable qu’on doit obligatoirement chlorer! La réglementation doit donc absolument changer. La France et ses entreprises ont un vrai savoir-faire qui s’essaime au niveau mondial puisqu’il permet à l’Italie d’avoir 8% d’eau usée réutilisée, à l’Espagne d’en avoir 15% et à Israël d’en avoir 85%. Mais, chez nous, nous sommes à moins de 1%, tout simplement parce que cette réglementation empêche la mise en place de solutions intelligentes! Or, l’eau est beaucoup trop précieuse pour n’être utilisée qu’une fois.»

Que faut-il «entendre» par «eau potable», au final?

Willy Fortunato: «De toute évidence, elle doit être destinée à être bue. Or, en France, elle représente seulement 1% de la consommation d’un foyer. Le reste de son utilisation est dirigé vers différents usages: la douche, l’arrosage du jardin, le lavage de la voiture, la piscine ou les toilettes donc. Cela n’a absolument aucun sens. Il faut aussi s’intéresser à l’usage des eaux de pluie. Car, si elles ne sont pas destinées à être potables elles peuvent tout de même répondre à 99% des usages de la maison. On a trop longtemps pensé que l’eau était un bien dont la ressource était inépuisable. Malheureusement, on s’est (là aussi) trompé!»

«Laver la voirie avec de l’eau potable, cela s’appelle une connerie! Et c’est pourtant ce qu’on fait…»

Willy Fortunato, D.G. UV Germi

Au delà des seules réglementations, n’est-ce pas aussi une question d’éducation? 

Willy Fortunato: «Absolument. L’éducation, c’est ce qui fait -par exemple- qu’un Montpellierain consommera en moyen 180 litres d’eau par jour quand un Barcelonais en consommera 120. L’éducation exige un temps long, et il est important de le prendre. Parce que si, demain, on propose une société d’Amish à nos enfants, on va les perdre ! ils n’auront pas envie de ce monde-là. Nous devons être capables de leur proposer un projet acceptable qui ne repose pas seulement sur la sobriété mais sur l’intelligence

Que proposez-vous?

Willy Fortunato: «Il faut agir sur l’ensemble de ce qui nous est possible. La fertilité des sols, par exemple. Quand il pleut, si c’est sur des sols imperméables, forcément on n’en bénéficie pas! Il faut également modifier ce qui a été mis en place pendant quarante ans par les différentes politiques agricoles communes en redéfinissant ce qu’est l’agriculture raisonnée. Il faut régler le problème des fuites, et revoir ces canalisations dont beaucoup sont devenues caduques à force de ne pas avoir été entretenues.

A l’échelle des quartiers, il nous faut également repenser la récupération des eaux. Cela devient une urgence. Notamment parce que c’est une façon de se prémunir contre les crues. Si demain on est capable de stocker l’eau de pluie dans les périodes de précipitation, alors on sera capable aussi de linéariser ces crues et de limiter les sécheresses. Et, comme je le disais tout à l’heure, il s’agit de repenser la réutilisation de l’eau, tant à l’échelle d’un foyer qu’à celle d’une entreprise ou d’une collectivité. Laver la voirie avec de l’eau potable, cela s’appelle une connerie! Et c’est pourtant ce qu’on fait…»

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