Ex-conseiller de l’ancien ministre de l’Écologie Jean‐Louis Borloo, Thomas Guénolé est politologue. Intellectuel engagé, il enseigne le changement climatique à l’IÉSEG School of Management. Il vient aussi de publier «La Fin des haricots?», un essai dans lequel il propose des solutions pour une «nouvelle civilisation écologiste». Et notamment à l’échelle des territoires. Thomas Guénolé a accepté de nous en dire plus.
Vous publiez «La Fin des haricots?» (éd. Plon), un essai consacré à l’écologie des solutions. Comment est né ce livre?
Thomas Guénolé: «Du jour au lendemain, la naissance de ma fille m’a rendu beaucoup plus écologiste. C’est courant quand on devient père. Mais, par tempérament, même si les deux démarches sont complémentaires, je suis davantage porté sur l’écologie des solutions que sur celle de l’alerte et de l’indignation. Méthodiquement, humblement, je me suis donc massivement documenté, je suis allé interroger les meilleurs experts, et cela a donné ce livre.»
Vous consacrez un chapitre à l’urbanisme vert. Les collectivités locales françaises vont-elles dans le bon sens, selon vous? Les différents plans d’action mis en place à l’échelle des métropoles, des agglomérations ou des villes vous semblent-ils assez ambitieux?
Thomas Guénolé: «Globalement, oui, nos collectivités locales vont dans la bonne direction. Un effort de longue haleine sur les transports en commun électriques, un foisonnement de pistes cyclables, beaucoup de construction d’écoquartiers, beaucoup d’arbres plantés… En revanche, non, tout cela n’est pas encore assez ambitieux. Pas besoin de réinventer la roue: beaucoup de choses formidables se font déjà partout dans le monde; il faut juste copier les villes les plus écologiquement vertueuses!
Par exemple, à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, le quartier de Solarsiedlung est composé de bâtiments radicalement économes en énergie, avec des toitures photovoltaïques et des éoliennes de taille modeste sur tous les toits. Résultat, Solarsiedlung est devenu le premier quartier au monde à avoir un bilan énergétique positif: il produit plus d’énergie qu’il n’en consomme, et uniquement du renouvelable!»
Selon vous, l’isolation thermique doit absolument être la priorité écologique numéro 1 des collectivités locales. Pourquoi?
Thomas Guénolé: «Les «passoires thermiques» et l’air conditionné sont les deux faces d’un même problème: la vulnérabilité des bâtiments face aux changements de température. Du fait de fuites dans la couche thermique du bâtiment, l’air circule entre les pièces, ainsi qu’entre le bâtiment et l’extérieur. Ce qui fait augmenter la température en été et la fait trop baisser en hiver. D’où des dépenses d’énergie supplémentaires pour compenser le problème. Les grands travaux d’isolation thermique doivent donc devenir la priorité écologique absolue des collectivités locales. J’insiste: écologiquement, ce dossier doit passer avant tous les autres.»
Vous plaidez pour la «piétonnisation» massive de nos villes. N’est-ce pas un peu utopique?
Thomas Guénolé: «Il ne s’agit pas, bien sûr, d’interdire toutes les voitures dans toute la ville du jour au lendemain. Et, dans tous les cas, évidemment il faut que les véhicules de livraison gardent le droit de circuler, même dans les zones piétonnes. Autre évidence: pour que la piétonnisation fonctionne il faut d’abord développer une bonne desserte de transports en commun électriques. Je suis conscient que la piétonnisation se heurte souvent à des résistances, notamment à celles des commerçants. Mais les faits sont là: quand un quartier devient piéton, la pollution de l’air s’effondre; il y a moins d’obésité dans la population; les enfants passent plus de temps à jouer en plein air; il y a moins de morts d’accidents routiers; les petits commerces deviennent plus rentables, et des arts de rue se développent. Et, accessoirement, la marche à pied quotidienne est excellente pour la santé.
Quoiqu’il en soit la piétonnisation massive des villes doit être faite intelligemment. Quatre grandes règles:
Circuler à pied doit pouvoir être utile, c’est-à-dire satisfaire un besoin quotidien. Cela nécessite donc la présence de commerces de proximité.
Circuler à pied doit être sûr, en particulier vis-à-vis des voitures. Il faut donc soit une très nette séparation entre zones piétonne et automobile, soit -encore mieux!-une zone intégralement piétonne.
Circuler à pied doit être agréable, ce qui requiert l’existence de «salons extérieurs»: terrasses de café, jardins dans la ville…
Enfin, circuler à pied doit être intéressant, ce qui implique un espace urbain beau, vivant et diversifié.»
Vous êtes aussi partisan de l’architecture en bois…
Thomas Guénolé: «Oui. Parce que c’est écologiquement excellent. Déjà, tout morceau de bois est fait quasi-totalement de carbone. Donc tout bâtiment en bois est un «piégeur» de carbone. De plus, la production de bois de construction émet considérablement moins de gaz à effet de serre que la production du ciment qui est responsable à lui seul de plus de 5% des émissions mondiales dues aux activités humaines. Bâtir en bois présente donc de gros avantages. Par exemple, un peu comme des meubles géants en kit, les portions de bâtiment en bois peuvent facilement être préfabriquées pour être ensuite assemblées sur site, ce qui rend la construction plus facile et plus rapide qu’avec l’acier et le béton.
Evidemment, je ne vous parle pas de petites cabanes traditionnelles façon «La Petite Maison dans la prairie». L’architecture en bois, aujourd’hui, c’est moderne. A Vancouver, la Brock Commons Tallwood House est une résidence étudiante entièrement en bois, haute de dix-huit étages. A Milwaukee, dans le Wisconsin, l’Ascent MKE est un gratte-ciel en bois. Sans parler des écoquartiers que vous trouvez dans de nombreuses villes de France.»
Vous préconisez également le développement des pistes cyclables. Mais n’est-ce pas déjà largement en cours en France?
Thomas Guénolé: «Deux points d’alerte à ce sujet. D’abord: c’est le développement des pistes cyclables qui augmente le nombre de cyclistes, et non le contraire. Une collectivité locale qui attendrait que les vélos se multiplient pour installer les infrastructures appropriées prendrait donc le problème à l’envers. Ensuite, il est essentiel que les pistes cyclables soient complètement séparées des voies de circulation automobile. Le meilleur contre-exemple, c’est Paris: encore aujourd’hui, il est courant qu’une partie du trajet à vélo se fasse obligatoirement au beau milieu des voitures et des motos, des bus et des taxis. Dans mon livre, je raconte d’ailleurs comment, moi-même, quand je pratiquais le vélo dans la capitale, j’avais souvent l’impression de risquer ma peau!»