Accueil » Transition écologique » Economie circulaire » Florence Berthout: «Se contenter de trier les déchets sur les plateaux, c’est du greenwashing!»
Interview Florence Berthout cantine

Florence Berthout: «Se contenter de trier les déchets sur les plateaux, c’est du greenwashing!»

par Laurent F.

Maire (Horizons) du 5ème arrondissement de Paris et Présidente de la Caisse des Ecoles qui gère les cantines scolaires du secteur, Florence Berthout a fait des menus bio issus de filières courtes l’un des principaux fers de lance de ses deux mandatures. Elle nous explique sa démarche.

 

Depuis quelques années, le 5ème est le seul arrondissement parisien à proposer des menus bio issus de filières courtes dans ses cantines scolaires. Pourquoi cette démarche?

Florence Berthout: «Il faut rendre à César ce qui est à César: sous la mandature de mon prédécesseur (Jean Tibéri, ndlr), il avait été décidé que, dans ces cantines, la cuisine se ferait sur place en essayant d’avantager les filières courtes. À mon arrivée en 2014, j’ai décidé d’amplifier fortement cette mesure.»

C’est un travail de longue haleine?

Florence Berthout: «Oui. De très longue haleine, et qui nécessite d’être régulièrement consolidé. Pour autant, nous pouvons maintenant nous reposer sur de solides acquis. Le fait de tout cuisiner sur place dans chacune de nos quatorze cuisines en est un, mais l’approvisionnement était tout aussi essentiel. Nos produits viennent aujourd’hui quasi exclusivement de filières courtes et durables, et sont composés à 80% de produits bio.»

Autre grand point de vigilance, la lutte contre les déchets. Qu’avez-vous mis en place?

Florence Berthout: «Je me suis toujours beaucoup battue sur ce point. Se contenter de trier les déchets sur les plateaux repas avant de les déposer dans les poubelles correspondantes, c’est du greenwashing. En tout cas, c’est une minuscule partie de l’iceberg. Il s’agit plutôt de les supprimer en amont. Par exemple, en proposant les laitages en portions individuelles vous multipliez par centaines de kilos les emballages. Nous les commandons donc par pots de cinq litres. Même chose pour les gâteaux que nous achetons en vrac avant de les servir sur assiette. Ou pour les sauces vinaigrette que nous faisons nous-mêmes afin d’éviter les sachets.

Bien sûr, tout cela implique beaucoup plus de manipulations. Plutôt que de disposer 300 pots de yaourts sur les tables, vous aurez deux personnes qui devront remplir un à un 300 ramequins. Et qui découperont les parts de fromages, notamment. Mais cette multiplication de tâches en vaut la peine: nous sommes aujourd’hui quasi exclusivement en déchets bio dégradables. Chez nous, le non dégradable est définitivement proscrit.»

«Nous sommes l’une des rares Caisses des Écoles à n’avoir jamais connu aucune grève, ce qui prouve le bon climat social!»

Cela induit forcément des recrutements, non?

Florence Berthout: «De toute évidence, lorsque vous préparez les repas sur place vous avez besoin de plus de personnel que s’il s’agissait simplement d’ouvrir une barquette et de la réchauffer. Mais cela nécessite surtout, en amont, des process d’organisation extrêmement méthodiques et pointilleux. Par exemple, nous essayons de faire en sorte que de plus en plus de nos légumes nous arrivent déjà pelés. Je vous parlais tout à l’heure des solides acquis sur lesquels nous pouvons aujourd’hui nous appuyer. Le troisième pilier est la déprécarisation des personnels. Les fidéliser supposait d’avoir une politique RH digne de ce nom, et à mon arrivée au poste, nous nous y sommes attelés.»

C’est-à-dire? 

Florence Berthout: «Nous avons veillé à maintenir une politique salariale adaptée. Les salariés engagés en CDD sont passés en CDI. Nous avons mis en place plusieurs primes annuelles qui viennent les récompenser. De plus, nous leur proposons des formations. Techniques, mais pas seulement. En maîtrise de la langue française aussi. Celles-ci sont sanctionnées par un diplôme et peuvent donc ouvrir à une évolution de carrière plus facile. Aujourd’hui, cet aspect RH fonctionne très bien. Pour preuve, nous sommes l’une des rares Caisses des Écoles à n’avoir jamais connu aucune grève, ce qui prouve le bon climat social!»

Revenons à l’approvisionnement. Quels sont les principaux avantages à fonctionner en circuits courts?

Florence Berthout: «L’avantage est double. Puisqu’il n’y a plus aucun intermédiaire entre les petits producteurs et nous, nous pouvons mieux les rémunérer… tout en dépensant moins! Il est même triple car l’on peut aussi beaucoup plus facilement s’adapter de part et d’autre. Si, par exemple, un problème de production survient chez l’un de ces producteurs, on diffèrera simplement ce qu’on a prévu, et on trouvera facilement et rapidement une alternative.»

Le bio peut faire peur à certains, ne serait-ce que par son coût supposé. Avez-vous eu un travail de pédagogie à mener auprès de vos administrés?

Florence Berthout: «Bien au contraire! Les parents sont absolument ravis. Lorsque la Maire de Paris a voulu centraliser toutes les Caisses des Écoles au motif d’un passage généralisé au bio, j’ai organisé des petits-déjeuners pour en discuter. Chaque fois, j’avais 150 parents d’élèves qui répondaient présents! Ils étaient tous vent debout. Ils avaient parfaitement compris que si l’on centralisait toutes les Caisses d’Écoles parisiennes non seulement nous n’aurions plus la main sur les menus, mais l’approvisionnement en filières courtes et durables allait forcément disparaître.»

Pourquoi donc? 

Florence Berthout: «Nous servons environ 3 500 repas par jour, auxquels s’ajoutent les goûters. Il est bien évident que le producteur laitier qui nous fournit ces 3 500 repas ne pourrait en aucun cas nous en livrer 100 000! Les producteurs à taille humaine n’auraient pas pu répondre à ce marché.»

Selon vous, pourquoi ce modèle n’est toujours pas suivi par les autres Caisses des Ecoles parisiennes? 

Florence Berthout: «Avant que la loi Agriculture et Alimentation soit promulguée en 2018, les rapporteurs sont venus nous voir. Ils ont pu vérifier combien notre modèle économique était viable. Certes, comme toutes les cantines, il est très largement subventionné, mais il faut savoir que notre coût matières (c’est-à-dire le contenu de l’assiette) est inférieur à la moyenne parisienne. Alors pourquoi le modèle n’est pas suivi, je ne sais pas. Il est vrai que c’est un boulot titanesque. Et cela nécessite d’avoir, à la tête de votre Caisse, des collaborateurs extrêmement investis. Dans le 5ème arrondissement, ce sujet constitue un véritable enjeu politique (au sens étymologique du terme) dont mes collaborateurs se sont immédiatement emparés. On n’entre pas dans cette démarche si l’on n’y croit pas profondément soi-même!»

Pour conclure, quels sont vos autres principaux «chantiers» en matière de transition écologique?

Florence Berthout: «Le principal concerne la végétalisation. Pour ce faire, nous veillons à co-construire avec la Ville plutôt que d’entretenir des rapports de force. J’ai été force de proposition pour la création de jardins partagés à Paris, et nous en avons désormais trois dans l’arrondissement. Nous sommes en train d’emménager une promenade santé sur le Boulevard Saint-Marcel. Il sera organisé autour d’une douzaine d’équipements sportifs, avec un agrandissement des parcelles végétales. Nous travaillons aussi beaucoup sur les rues aux écoles, dans lesquelles nous bloquons la circulation. Par exemple, je viens tout juste de demander la fermeture de la rue de Pontoise et celle de Poissy. Et, ce n’est pas toujours possible mais si on peut le faire, alors nous végétalisons ces espaces. Car c’est incontestablement un plus.»

Articles connexes