Décarbonation: Pour le meilleur ou pour le pire, RTE dresse ses scénarios à l’horizon 2035

par Laurent F.
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Décarbonation

C’est le 20 septembre que le gestionnaire du réseau électrique français a présenté son nouveau rapport venant déterminer sous quelles conditions la France pourra respecter (ou non) le cap fixé par le programme européen «Fit for 55» qui vise à la baisse de 55% de nos émissions de GES en 2030 (par rapport à 1990). Voici ce qu’il faut retenir de ce Bilan prévisionnel 2023-2035 aux trois scénarios possibles.

«Plus que jamais la sortie des fossiles s’impose comme une nécessité alors que la France consomme encore plus de 60% d’énergie fossile. Pour y parvenir, le pays doit nécessairement s’électrifier.». Lalerte nous vient de RTE, en amont de la publication de son nouveau rapport qui dresse un bilan prévisionnel à horizon 2035. Pour déterminer dans quel cadre et sous quelles conditions la France pourra respecter les objectifs «Fit for 55», le gestionnaire du réseau électrique national a étudié trois scénarios possibles qui prennent en compte différents rythmes de consommation, d’électrification des usages et de développement des énergies bas-carbone selon les politiques mises en place , mais aussi selon la situation géopolitique et/ou macroéconomique et leurs inévitables conséquences.

Le scénario optimal est «à portée de mains», mais…

Pour RTE, le premier scénario (le plus souhaitable, selon lui), permettrait d’atteindre les objectifs de décarbonation et de réindustrialisation en 2030 et 2035. Le deuxième, lui, le permettrait aussi, mais avec un retard de trois à cinq ans. Enfin, le troisième emprunte un chemin sur lequel les crises actuelles se prolongeraient durablement et entraineraient de facto un net ralentissement dans le respect du programme européen. Pour RTE (pas si pessimiste qu’on aurait d’abord pu le penser!), le premier scénario -qui implique une forte hausse de la consommation d’électricité (580 à 640 TWh/an en 2035 contre 460 TWh en 2022) serait tout à fait envisageable. Toutefois, y parvenir impose une condition sine qua non: la mobilisation totale (et immédiate!) de quatre leviers, à savoir l’efficacité énergétique, la sobriété, les énergies renouvelables et le nucléaire. «Il est possible de jouer sur les curseurs mais aucun levier ne peut être abandonné.», précise le gestionnaire. 

Rénovations et petits gestes doivent s’intensifier

Qu’implique cette mobilisation quasi générale? «En complément de la performance des équipements, le volume et l’efficacité des rénovations thermiques dans les bâtiments doit augmenter. Cela permettrait d’économiser entre 75 et 100 TWh par an..» La poursuite des «gestes simples» demandés aux Français l’hiver dernier doit aussi perdurer, voire se renforcer. Ils permettraient d’économiser jusqu’à 25 TWh en 2035. Pour autant, «le niveau des pointes de consommation hivernales va augmenter», prévient RTE qui appelle donc aussi à développer la flexibilité de la demande. Le déploiement d’équipements tels que des boîtiers, de la domotique, des bornes et autres installations connectées dans les bâtiments est fortement souhaité en même temps que la mise en place d’incitations tarifaires et de solutions permettant de «contrôler son effet sur le système.»

Renouvelables et nucléaire: leur production aussi doit s’accélérer

Par ailleurs, sans surprise, et quel que soit le scénario retenu, RTE en appelle à une accélération importante de la production d’électricité renouvelable. «Entre 270 TWh minimum et, si possible, jusqu’à 320 TWh. Plusieurs rythmes d’accélération des différents moyens de production renouvelables ont été testés mais freiner sur l’un (solaire, éolien terrestre et offshore) oblige à accélérer d’autant sur les autres, tout en réduisant les marges.» Quant à la question du nucléaire, «l’enjeu est de retrouver des niveaux de disponibilité et de production nucléaire supérieurs à ceux des dernières années, en visant 400 TWh de production annuelle. Néanmoins, tabler sur un volume moyen de production de l’ordre de 360 TWh à l’horizon 2030-2035, en intégrant l’EPR de Flamanville, est une hypothèse prudente et atteignable.»

Un mot d’ordre: la flexibilité

Décidément optimiste, RTE mise donc sur l’amélioration de la sécurité d’approvisionnement ces prochaines années. Sans nier pour autant les difficultés liées au contexte actuel. «Il semble désormais probable que la transition va se déployer dans un climat macroéconomique et géopolitique plus complexe que celui des années 2000 et 2010: taux d’intérêt élevés, croissance faible, capacités de financement public sous tension, relations internationales dégradées…» Aussi, «le système électrique aura besoin de «flexibilités»: développer la modulation de la demande et les batteries constitue un axe prioritaire, permettant de gagner environ 5 GW de marge.» 

Multiplier les investissements par 3 d’ici 2035!

Et RTE de souligner d’autres obligations. Comme la poursuite du développement des interconnexions avec nos pays voisins afin d’assurer le bon niveau d’exportation de notre électricité bas carbone et de contribuer ainsi à la décarbonation européenne. Tout en améliorant notre balance commerciale, précise le gestionnaire qui rappelle que consommer moins de gaz et de pétrole pourrait nous permettre (toujours d’ici 2035) d’économiser environ 190 milliards d’euros de dépenses jusqu’ici consacrées à ces énergies fossiles. Mais les économies ont un prix: respecter ce scénario optimal nécessite de lourds investissements. Très lourds, même. «D’ici à 2035, il faudrait tripler les investissements, de 25 à 35 milliards d’euros par an, pour la production et les capacités de flexibilités.»

Des infrastructures à développer

Par ailleurs, pour tenir compte de nouveaux cadres et objectifs européens, RTE a souhaité réactualiser ses précédentes études. Selon lui, plus que jamais des transformations s’imposent dans différents secteurs. À commencer par l’industrie qui doit absolument déployer les infrastructures nécessaires. De même, «le développement des pompes à chaleur, en remplacement des chaudières à fioul et au gaz fossile, réduit significativement les émissions de gaz à effet de serre du pays, même en intégrant les effets induits. Cela a un effet sur la pointe, absorbable par le système électrique.» RTE mise encore sur le développement de la production d’hydrogène, soulignant que ce développement «requiert des quantités importantes d’électricité compétitive bas-carbone.» Enfin le secteur du transport devra lui aussi évoluer. Ce qui nécessitera «une nouvelle infrastructure de recharge et son pilotage.»

Face au scénario catastrophe, la relocalisation pour meilleure réponse

Et si, comme ne l’exclut pas RTE, c’est le troisième scénario qui venait à l’emporter? Celui-ci se traduirait inévitablement par «une augmentation du coût des équipements de la transition énergétique (+15 à 20% pour les investissements photovoltaïques au sol, par exemple)» et par celle «des coûts de financements.» Dans ce scénario, «le coût complet des énergies renouvelables est supérieur de 30 à 60%, voire jusqu’à 100% pour des filières en tension comme l’éolien en mer.» Mais là encore, le gestionnaire du réseau électrique refuse d’afficher son pessimisme: «Sur le long terme, il y a plusieurs façons de sortir de ce scénario», explique Thomas Veyrenc, directeur exécutif du pôle Stratégie, prospective et évaluation de RTE. Selon lui, il s’agira notamment de «relocaliser une partie de la chaîne de valeur des équipements de la transition énergétique pour sécuriser les approvisionnements». Quitte… à investir plus!

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