Depuis cinq ans, l’Observatoire Climate Chance réalise chaque année une synthèse mondiale consacrée à l’avancée des différents secteurs comme des territoires dans la lutte pour la décarbonation. Si l’édition 2022 montrait le long chemin à parcourir, celle de 2023 (publiée quelques jours avant la COP 28 de Dubaï) vient le confirmer davantage. En voici quelques points.
Les émissions mondiales de CO2 continuent de croître
Pour étayer l’ensemble de ses analyses, Climate Chance s’appuie sur les études internationales les plus sérieuses réalisées ces dernières années. Et, selon celles-ci, aucun doute: en croissance annuelle cumulée les émissions de CO2 ont encore augmenté de 7,2% entre 2015 et 2022. 48% des émissions mondiales sont aujourd’hui liées à la production d’énergie, loin devant l’industrie (23%), les transports (20%), le bâtiment (8%) et l’agriculture (1%). «Plus de 70% de la croissance des émissions mondiales depuis 2000 a eu lieu en Chine où les émissions par habitant dépassent même celles de l’UE. Les émissions par habitant de l’Inde ou de l’Indonésie, elles, restent très inférieures à celles des pays industrialisés.», soulignent les experts de l’Observatoire.
Electricité: Le renouvelable explose, mais la production fossile ne baisse pas
Bonne nouvelle: les énergies renouvelables connaissent un véritable boom. Elles ont progressé de 82% entre 2015 et 2022, représentant désormais 40,2% de la capacité de production électrique mondiale (contre 29,5% en 2015). Mais pas de quoi se réjouir tout à fait: les énergies fossiles demeurent tout de même largement dominantes. D’ailleurs, leur part dans le mix électrique faiblit lentement: 63,2% contre 68% en 2015.
A noter: Entre 2015 et 2022, le solaire est passé de 1 à 4,5%, et l’éolien de 3,4 à 7,3%. Par ailleurs, seulement 1,3% des investissements des neufs majors pétrolières sont bas carbone.
Transports: La transition est en marche mais…
Les émissions de CO2 liées aux transports ont augmenté de 6% entre 2015 et 2022. Concernant le routier (+ 6,1% à lui seul) un phénomène est notable: si sa part d’émissions baisse légèrement dans l’OCDE (-1,5%), il explose ailleurs (+14,9%). Conséquence: les consommations d’énergies qui lui sont liées ont augmenté de 7% ces sept dernières années. Le maritime, lui, connait une croissance d’émissions légèrement plus forte (6,5%) quand le ferroviaire augmente de façon moindre sa part (4,2%). Du fait de la crise sanitaire traversée pendant cette période, le transport aérien est le seul à enregistrer une baisse (logique) de ses émissions: -9,1%. Toutefois, 94,2% du trafic aérien avait repris en juin 2023 selon Climate Chance. Ce qui induit un obligatoire retour à la croissance carbone du secteur dans les temps prochains.
14% des ventes de véhicules neufs étaient électriques en 2022. C’est vingt fois plus qu’en 2015!
Observatoire Climate Chance 2023
Le monde roule à 95% au pétrole
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 95% du transport routier roule au pétrole, seulement 4,7% en biocarburant, et 0,3% à l’électrique. Côté voitures, Climate Chance confirme la large domination des SUV (42% des ventes de véhicules neufs), et tout particulièrement des modèles thermiques qui comptent pour 84% de ces ventes.
Pour autant, les signaux positifs sont là, souligne l’association internationale: «vingt-trois pays et dix-sept juridictions sous-nationales planifient la fin des véhicules thermiques.» Et si seulement 14% des ventes de véhicules neufs étaient électriques en 2022, c’est tout de même vingt fois plus qu’en 2015! «Mais les VE n’occupent toujours que 2,1% du parc automobile mondial.», relativise Climate Chance qui souligne le net effort des constructeurs européens: ils ont occasionné en moyenne 115g CO2/km d’émissions contre 131 g/km en 2020. Soit «la plus forte baisse observée depuis le début du suivi en 2010.»
Construction et rénovation: Les politiques ne sont pas à la hauteur
Entre 2015 et 2022, les émissions du secteur ont progressé de 8,5%, et la consommation d’énergie de 12,5%, plaçant à 30% sa part dans la consommation totale d’énergie finale. Au total, la construction a fait un bond de 16,2% sur la même période, pour une baisse de «seulement» 5,5% d’intensité énergétique. Bons points, tout de même: si la part d’énergies fossiles dans la consommation des bâtiments se situait à 60,5% en 2015, elle se place désormais à 54,5%. Quant à la vente des pompes à chaleur, elle a progressé de 40% entre 2021 et 2022 en Europe. De quoi relativiser (au moins un peu) les 16% d’émissions en plus dues à la climatisation depuis 2015.
A noter: L’Observatoire Climate Chance recense 920 objectifs municipaux d’énergie renouvelable en 2022, «dont 793 dans l’approvisionnement, la production ou la consommation d’électricité.» De plus, «125 gouvernements locaux et onze états aux États-Unis, représentant 36 millions de personnes, ont interdit le gaz ou encouragent l’électrification des nouveaux bâtiments.» Enfin, on a compté 4,2 milliards de m2 de surface bâtie certifiés en 2021. En 2016, c’était seulement 1,05 milliard.
«Le suivi de l’évolution de la production mondiale de déchets souffre d’un déficit de données agrégées: quantités de déchets sortent des radars, entrent dans des circuits informels ou disparaissent en décharges.»
Observatoire Climate Chance 2023
Le recyclage recule, mais de nouvelles filières s’organisent
«Depuis 2018, la part des processus circulaires (recyclage, compostage…) dans la consommation mondiale de matières premières recule: la croissance de la demande en matières premières vierges dépasse les progrès de la circularité globale. Le suivi de l’évolution de la production mondiale de déchets souffre d’un déficit de données agrégées: des quantités de déchets sortent des radars, entrent dans des circuits informels ou disparaissent en décharges.», souligne Climate Chance qui précise encore: «La mise en décharge et l’incinération des déchets, deux modes de traitement émetteurs de CH4 et de C02, ont gagné du terrain.» Bref, le taux de circularité mondial est en baisse depuis 2018: 7,2% en 2022, 9,1% en 2018. Tout de même, Climate Chance souligne que 48,3% des déchets ont été recyclés ou compostés dans l’UE en 2021 contre 44,9% en 2015. C’est certes bien, mais moins bien qu’au Japon où la production de déchets a été réduite de 7% entre 2015 et 2021. Par ailleurs, 11% de biogaz supplémentaires ont été produits dans l’UE entre 2015 et 2022. Soit 8% de sa consommation de gaz. Et «jusqu’à +114% en France où la dynamique pour la méthanisation est la plus forte.»
A noter: L’Observatoire note que «180 000 tonnes de capacités de recyclage de batteries par an dans le monde. Mais moins de 1% du lithium utilisé est recyclé à l’heure actuelle.».
La déforestation ralentit, mais la situation reste grave…
Après le pic de 29,6 millions d’ha (Mha) atteint en 2016, ce sont encore 25 Mha de couverts forestiers qui sont perdus en moyenne chaque année. «Deux-tiers de la perte de forêts primaires entre 2013 et 2019 était due à la conversion pour l’agriculture commerciale, et trois-quarts était illégale.» Et Climate Chance de souligner que la capacité de séquestration des forêts tropicales a aussi diminué de 5,8 GtC entre 1990 et 2010. Soit «l’équivalent en carbone d’une décennie d’émissions d’énergies fossiles du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la France et du Canada réunis.» Concrètement, 0,22 GtC02/an d’émissions nettes ont été enregistrées en Amazonie brésilienne entre 2001 et 2019. Une zone géographique «désormais source nette d’émissions due à une déforestation intense.» Bref, la situation est inquiétante, et les engagements politiques comme la hausse des financements ne semblent pas parvenir (pour l’heure) à l’endiguer.
Des efforts et des financements néanmoins considérables
Pourtant, les efforts sont notables. 69% d’entreprises à risques forestiers auraient déployé aujourd’hui une politique contre la déforestation quand ils n’étaient que 41% en 2015. 39% des institutions financières aussi. En 2015, aucune ne semblait concernée par le sujet! Au total, Climate Chance évalue à 130 Md$ les financements en faveur de la biodiversité en 2020, contre 52 Md$ en 2012. Quant à la valeur des crédits carbone fondés sur la nature, entre 2020 et 2021 elle s’est envolée sur le marché volontaire: +321%.
«Les plans de transition des entreprises (…) manquent de précision sur les investissements et sur la transformation des modèles d’affaires.»
Observatoire Climate Chance 2023
Les engagements net zéro des entreprises sont très insuffisants
«La neutralité carbone est devenue la boussole de l’action climat des grandes entreprises et un nouveau moteur à leur stratégie de croissance. Souvent flous et réduits aux émissions «opérationnelles» (Scope 1 et 2), ces objectifs ignorent les émissions de la chaîne de valeur (Scope 3), pourtant derrière 75 % de leur empreinte carbone. Les plans de transition des entreprises (…) manquent de précision sur les investissements et sur la transformation des modèles d’affaires.» Le constat de Climate Chance est certes sévère. Mais imparable puisqu’appuyé sur l’ensemble des enquêtes mondiales consacrées au sujet. Ainsi, seulement 0,4% des plans de transition des entreprises sont jugés crédibles en 2023. Et leur note moyenne (évaluée selon les méthodologies de l’Ademe et du CDP) est de seulement 27,6/100.
«L’écart moyen entre deux inventaires municipaux équivaut au mandat d’un maire français: six ans.»
Observatoire Climate Chance 2023
Et du côté des territoires?
«Les villes engagées dans la Convention des maires en Europe ont, selon les données rapportées, dépassé leurs objectifs d’atténuation moyen entre 2005 et 2020, en cohérence avec les objectifs de l’UE. La mobilisation des villes s’est considérablement accélérée en Amérique latine et en Afrique sub-saharienne. En Europe, les plans d’adaptation gagnent en qualité.» Plus précisément, Climate Chance souligne qu’en Europe «l’écart moyen entre deux inventaires municipaux équivaut au mandat d’un maire français: six ans.»
Quelques chiffres:
• Plus de 12 800 villes sont signataires de la Convention mondiale des maires pour le climat et l’énergie et ses déclinaisons régionales.1,1 milliard de personnes sont ainsi concernées.
• En 2022, 1,3 milliard de personnes étaient couvertes par les objectifs et politiques d’énergies renouvelables de 1 500 villes engagées.
• 41% des 10 800 signataires de la Convention européenne des maires ont renouvelé leurs objectifs pour 2030 ou 2050.
• -25,3% d’émissions entre 2005 et 2020 ont été obtenus par 1 851 villes. Soit plus que l’objectif moyen de -22,7 %.