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Raphaël Glucksmann: « Nous voulons apporter un grand plan de financement pour cette transition »

par Clara Blanquet

Nous avons eu l’opportunité d’interviewer Monsieur Raphaël Glucksmann, Député européen et tête de liste du Parti Socialiste et de Place publique aux élections européennes du 9 juin 2024, sur ses propositions et perspectives concernant la transition énergétique, le financement de cette transition, ainsi que les défis liés à la préservation de la biodiversité et à l’application des mesures environnementales par les entreprises à l’échelle européenne.

Quelles sont vos propositions pour une transition énergétique généralisée, généralisable et financée ?

Jusqu’ici, ce que l’Union européenne a fait avec le Green Deal, c’est de fixer des objectifs contraignants et d’émettre des normes. Mais on doit passer à une deuxième étape, qui consiste à investir massivement dans la transition énergétique, dans la sobriété énergétique, dans la rénovation thermique des bâtiments et dans la capacité industrielle des entreprises vertes en Europe. C’est vraiment une étape cruciale. Si on ne le fait pas, si on s’en tient aux normes, en réalité, on va faire face à une insurrection partout en Europe et on va laisser la droite et les conservateurs détricoter l’ensemble des règles qu’on a émises à l’échelle européenne. Moi, je pense qu’on doit aussi expliquer que la transition énergétique, ce n’est pas une contrainte. C’est la capacité de l’Europe à retrouver sa liberté. Nous sommes des sociétés qui se vivent comme des sociétés en déclin depuis le premier choc pétrolier, quand on s’est rendu compte que notre accoutumance quasi-droguée aux fossiles nous rendait dépendants de régimes peu recommandables partout sur la planète. On en a la preuve là, par exemple, avec Vladimir Poutine, son gaz et son pétrole qui nous ont acheté jusqu’à tolérer l’entrée en guerre du continent européen.

La transition énergétique, c’est aussi un projet de sécurité et d’autonomie pour l’Europe. Il ne s’agit pas simplement de faire des sacrifices pour le climat. C’est parce que vous avez conscience de la perspective de l’effondrement climatique, parce que vous avez conscience du caractère impératif de cette transition que vous allez œuvrer à récupérer du pouvoir, à récupérer de la capacité de décision. Il faut qu’on montre que la transition énergétique sera un immense projet de liberté pour l’Europe.

Comment, réussit-on à proposer ce financement pour les entreprises ?

Nous, ce qu’on va apporter, c’est un grand plan de financement pour cette transition. Il va reposer sur deux types de ressources. Parce que les gens qui ne vous expliquent pas comment ils vont payer, il ne faut pas les croire. On a montré pendant la pandémie, et c’était une avancée majeure, que l’Europe avait une capacité d’endettement mutuelle. C’est-à-dire que quand on était face à une urgence, on avait la capacité de créer des solidarités en Europe. Pour que les contribuables allemands, par exemple, garantissent les emprunts des Grecs ou des Italiens. Ce qui était totalement inimaginable avant la pandémie. On a vu que c’était possible. Il faut le refaire dans le cadre de la transition. Il faut émettre une dette commune qui serve spécifiquement à financer une transition qui ne nous rend pas dépendants de l’appareil politique chinois. En effet, aujourd’hui, nos politiques commerciales ont fait en sorte que tous les champions qu’on avait en Europe (du photovoltaïque par exemple), se soient faits ratiboiser par une concurrence chinoise qui exploite les esclaves ouïghours sur la production du polysilicium mais qui subventionne sa production et qui vend à perte. Il faut donc non seulement qu’on aille à fond sur la transition, mais qu’on aille à fond sur la production européenne afin de ne pas retomber dans la même dépendance que pour les hydrocarbures.

On est en train de le faire mais ce n’est pas assez massif en termes de financement et d’investissement. On n’a pas encore instauré des barrières commerciales qui nous protègent des concurrences déloyales comme la concurrence chinoise. Aujourd’hui, ce qui est arrivé au photovoltaïque européen, ça peut arriver à l’éolien ou aux batteries. Il faut qu’on soit conscients de notre responsabilité à défendre les productions européennes dans ce secteur-là. C’est un immense projet, à la fois de transformation écologique de nos productions mais aussi de récupération de souveraineté.

Nous avons perdu énormément de notre biodiversité à l’échelle mondiale, européenne et française. Comment pouvons-nous agir ?

On peut faire plein de choses. La première chose qu’on doit faire, c’est d’empêcher que les rares progrès qu’on a faits, ne soient défaits. Parce qu’aujourd’hui, on est face à une offensive massive des conservateurs contre, par exemple, la Loi sur la restauration de la nature, qu’on a votée au Parlement européen, mais avec une majorité extrêmement faible. Ça se jouait à une voix. C’est ça qui nous a donné la majorité. Donc, une majorité très fragile.

L’immense enjeu pour la biodiversité, c’est d’abord de faire un pacte bleu sur les océans et sur la mer, parce qu’on est en train de tuer nos océans et de tuer la biodiversité marine de manière générale. C’est le poumon de la planète. Donc, c’est une question à la fois de biodiversité et de climat. Il faut qu’on soit capables de mettre en place un pacte bleu sur la mer et les océans. Et ça va être un des grands enjeux du prochain mandat, dès qu’on arrive. Deuxième enjeu majeur, c’est la politique agricole commune qui correspond à 30% du budget européen. Ça doit devenir le bras armé, si vous voulez, du Green Deal. Il doit y avoir une transformation écologique de l’agriculture, qui soit aussi bénéfique socialement parce qu’on va arrêter de subventionner le productivisme et l’hectare, et on va passer à une subvention. Si on me suit bien évidemment, car je n’ai pas encore eu la majorité.

Comment allier les parties économie et environnement notamment pour le cas des agriculteurs, que nous avons pu suivre récemment ? 

Ça doit marcher ensemble. Si on prend la colère agricole, qui est parfaitement légitime, celle-ci avait une base majeure qui était celle des revenus. Mais le problème, c’est que les prétendus porte-paroles du monde agricole sont pour la PAC actuelle. Ils ne voulaient pas poser la question des revenus. Ils ont donc posé la question des pesticides. C’est une arnaque totale. Pourquoi est-ce qu’un grand céréalier de la Beauce toucherait des centaines de milliers d’euros de la PAC alors que l’éleveur qui bosse 70 heures par semaine lui ne toucherait que 700 € par mois et va être oublié des subventions publiques?

Si on ne change pas ce système de subventions, si on ne change pas la politique agricole commune, on aura plus de paysans et plus de biodiversité. Donc là, ce qui se joue, c’est majeur. Et que ce soient les représentants d’Emmanuel Macron, ceux de la droite ou ceux de l’extrême droite, ils ont tous soutenu cette PAC. Nous, on a voté contre. Et quand on a voté contre, je me souviens très bien des arguments de débat, on nous disait : « Attention, ça va nourrir une colère sociale dans le monde agricole qui va ensuite déboucher sur une colère anti-écologique ». Or, les premiers problèmes, qui sont la répartition des revenus et la capacité des paysans à vivre de leur travail, ne sont pas des problèmes « anti-écolo », ce sont des problèmes de subventions publiques et d’organisation du marché. Ils sont aussi eux-mêmes directement concernés quand ils utilisent des produits phytosanitaires. Ils n’ont pas envie de les utiliser, parce que c’est leur santé.
On les a simplement liés à un système. Et aujourd’hui, pour les aider à s’en libérer, il faut changer notre méthode de subventions publiques. La subvention publique, comme ça, ça a l’air très abstrait. Mais en réalité, c’est l’argent des contribuables et ça donne une indication du sens politique où on veut aller. Et aujourd’hui, la subvention publique renforce les inégalités et renforce les politiques anti-écologiques. Il faut inverser ça. Il faut que les puissances publiques, désormais, mettent un cap.

Comment parvient-on à garantir le respect des mesures environnementales par les entreprises à l’échelle européenne ?

En ayant une politique claire, un cap clair. Ça ne suffit pas d’émettre des normes. Les normes, il faut les respecter. On doit accompagner, on doit avoir une politique claire. Regardez ce qu’il s’est passé aux États-Unis par exemple. Ils sont vraiment à la bourre sur la transition. On a, tout d’un coup, l’Inflation Reduction Act, qui est un grand plan de transition avec des investissements massifs. Nous, on n’est pas capables de faire ça. En plus des investissements massifs, ça représente surtout un cap clair sur long terme donné aux industriels et aux entreprises. Là-dessus, l’Europe doit aller dans ce sens. Il faut qu’on soit capables de faire ça, mais avec un volet supplémentaire qu’il n’y a pas aux États-Unis car ils ont un rapport très différent à l’énergie, c’est la sobriété. Nous, on doit vraiment travailler sur l’économie d’énergie, puisque la seule énergie totalement propre, c’est celle qu’on ne dépense pas. Mais par contre, on doit avoir un plan qui accompagne le Green Deal, un plan d’investissements massifs dans l’industrie et dans l’économie tout en mettant un cap clair. Et l’autre chose, c’est que quand on a des subventions européennes et des fonds européens, il doit y avoir une conditionnalité sociale et écologique bien plus massive que ce qui a été fait pendant le plan de relance.

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