Avec 18 000 collaborateurs dans une cinquantaine de pays. Worldline fait partie des leaders européens des systèmes de paiement. En charge de la RSE depuis dix ans, mais aussi administrateur du C3D en charge de la CSRD, Sébastien Mandron nous en dit plus sur la stratégie de Durabilité de l’entreprise. Et sur les enjeux posés aujourd’hui par la CSRD.
Un mot sur votre parcours. Comment êtes vous venu à diriger la politique RSE de Wordline ?
Sébastien Mandron: «Je viens du conseil. J’ai travaillé chez PWC, puis dans le Groupe Atos où j’ai dirigé les plans de transformation avant d’arriver en 2011 chez Worldline. Depuis 2014, j’en suis le Directeur RSE. Je suis également administrateur de C3D en charge de la CSRD, et administrateur de Global Compact France qui rassemble des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d’activités. L’objectif étant d’avancer ensemble dans la mise en œuvre des critères du niveau de reporting GC Advanced du Pacte mondial.»
Parlons de Worldline. Quels sont vos principaux piliers RSE?
Sébastien Mandron: «Notre sujet est évidemment le numérique responsable. Il s’agit pour nous de baisser l’empreinte du numérique, que ce soit nos émissions de CO2 ou la puissance de nos machines.»
Face à l’explosion du e-commerce et des solutions de paiement, n’est-ce pas un défi particulièrement compliqué?
Sébastien Mandron: «Au contraire, c’est facile pour une première étape ! Une grande partie des émissions des transactions de paiement électroniques concernent les reçus imprimés, les cartes bancaires en plastique et les terminaux de paiement. Ce que nous expliquons à nos clients c’est que tous ces éléments physiques ont un coût environnemental important. Les substituer progressivement en privilégiant un paiement entre deux téléphones permet de diviser ces coûts CO2 par trois.»
Et quels sont vos autres piliers environnementaux?
Sébastien Mandron: «La deuxième dimension est d’analyser notre chaîne de production informatique, que ce soit le cloud ou le matériel, afin de pouvoir la réduire également. Enfin, dernière dimension, la mise en place d’applications plus économes en CO2 et en puissance machine constitue une dimension qui doit encore être approfondie.»
Vous avez lancé des plans de transformation à 5 ans appelés Trusk 2020 et Trusk 2025. De quoi s’agit-il?
Sébastien Mandron: «Lorsque vous faites de la RSE, généralement vous faites un reporting des chiffres passés. Notre spécificité, chez Worldline, est d’expliquer aussi quelles sont nos cibles à cinq ans pour les quinze indicateurs RSE qui font référence dans nos activités. En 2015, lors de notre introduction en bourse nous avons élaboré Trust 2020 qui fixait les objectifs à l’horizon 2020. Le programme Trust 2025 a donc pris la suite à partir de 2020. Cette approche engagée dès 2015 prend à présent tout son sens dans le cadre de la mise en place de la CSRD où des objectifs chiffrés à cinq ans constituent une pierre angulaire.»
Justement, la CSRD fait l’objet d’intenses débats ces derniers mois. Quelle est votre position sur le sujet?
Sébastien Mandron: «La CSRD est un outil qui fait le lien entre les problèmes que sont le réchauffement climatique et l’attente des limites planétaires et de l’autre la résilience des modèles d’affaires. Elle vise à formaliser les actions qui doivent être mises en place pour garantir la Durabilité de nos entreprises. Cette directive européenne a été très ambitieuse, et on se rend compte que sa mise en place est complexe la première année. Une simplification apparait comme nécessaire mais sans perdre le contenu. Si l‘on veut avancer il nous faut obligatoirement disposer d’un outil capable de faire face aux nouveaux problèmes environnementaux qui ne vont faire que grandir. Ce reporting restera incontournable pour répondre aux questions des investisseurs comme des citoyens sur les engagements des entreprises.»
Face au contexte actuel (la monté des climato-sceptiques, aux Etats-Unis mais pas seulement!), observez-vous ces temps-ci un recul des enjeux RSE?
Sébastien Mandron:«Non, plutôt une accélération. Chez nos clients, la question de savoir combien nos services coûteront en carbone est plus présente que jamais. Leur deuxième question étant de nous demander à quelle hauteur nous sommes alignés avec les accords de Paris, et comment nous comptons faire baisser nos émissions de CO2. Depuis dix-huit mois, l’évolution sur ces sujets est très nette, et la CSRD la caractérise bien puisqu’elle introduit de nouvelles dimensions comme la biodiversité, les ressources en eau, la pollution, voire l’économie circulaire. En revanche, il faut reconnaître qu’il y a davantage de questions que de solutions. Mais le fait est qu’aujourd’hui, avec la CSRD, l’Europe marche en ligne droite quand jusqu’ici on avait plutôt l’habitude de faire des pas de côté. De toutes façons, on n’arrêtera pas la RSE. Ne serait-ce que parce qu’ils ne veulent pas perdre leur argent, je vois mal les investisseurs ne plus poser de questions ESG. C’est une évidence, mais si vous voulez construire une usine à Valence, on vous demandera forcément si vous comptez ou non vous installer en zone inondable. Les réflexes sont là désormais. Et de nouveaux besoins sont apparus.»
Pourtant, selon Fabrice Bonnifet (le Directeur Développement Durable du Groupe Bouygues et Président du C3D) «Plus la planète se dégrade, plus les démarche RSE des entreprises prennent de l’importance, et malgré nos alertes nous peinons à faire passer nos messages.»…
Sébastien Mandron: «La question que Fabrice Bonnifet soulève là, c’est «Est-ce que tout ce que nous faisons est suffisant et assez rapide?» On a beau dire les choses et les répéter, les choses ne vont pas aussi vite que l’ambition que nous affichons. A cela deux raisons. L’éducation n’a pas été faite, et nous restons prisonniers de certains tabous. Les Accords de Paris datent de 2015, et certains messages ne sont toujours pas passés car on voit bien que la réduction des émissions de CO2 est synonyme de changement de modes de vie. Cela concerne la mobilité, l’hébergement, l’alimentations ou la consommation. Tous ces secteurs économiques sont sources de bien-être pour les consommateurs, et d’emplois pour nos économies développées. Ces sujets ne sont pas faciles du tout, et le sont d’autant moins que nous sommes en phase de recherche. Nous ne disposons pas encore de notices IKEA pour trouver les solutions.»
Pour conclure, revenons à la CSRD. En attendant la décision de l’Union Européenne annoncée pour le 26 février, vous sentez-vous inquiet?
Sébastien Mandron: «Avec la date du 26 février, tout le monde essaye d’influencer le contenu en faisant valoir ses arguments. Cela est logique et rationnel. Mais, de toutes façons, le 26 février ne sera qu’un point de départ. L’U.E. fera une proposition qui sera ensuite revue et re-re-vue… avant que, plusieurs mois après, le Parlement ne vote. Le vrai sujet (qui me semble crucial), c’est qu’au delà de la complexité ou du rôle des auditeurs notamment, dans les six semaines à venir tous les rapports vont sortir. Les choses deviendront alors très concrètes pour tous les acteurs. Ce sera vraiment le fait marquant de l’année 2025! On va créer l’offre et générer la demande. Surtout, on va pouvoir comparer ces nouveaux modèles. Les entreprises pourront aller voir les rapports de leurs concurrents et en tirer des conclusions sur les actions à mener pour pouvoir s’améliorer. Quant à celles qui n’auront pas fait ce reporting, lorsqu’elles verront que leurs concurrents ont publié le leur, elle vont se sentir obligées de s’y mettre… même si ça l’air compliqué! La CSRD va forcément créer une dynamique et nous permettre de progresser pour lutter contre le réchauffement climatique et anticiper l’attente des limites planétaires.»