Jean François Rial, PDG de Voyageurs du monde: «Il faut laisser le temps de la transition et de la compétitivité technologique pour générer enfin l’acceptation sociale.»

Par Laurent F.
7 minutes de lecture
Jean François Rial

Particulièrement engagé dans la cause environnementale, le PDG de Voyageurs du monde n’est plus à présenter. Il nous parle de son engagement de longue date, de la forte démarche RSE du voyagiste et des solutions qu’il prône pour lutter plus efficacement contre le réchauffement climatique au quotidien.

Présentez-nous Voyageurs du monde que vous dirigez depuis bientôt 30 ans…

Jean-François Rial: «Voyageurs du monde, c’est 1 700 collaborateurs et une vingtaine d’agences physiques en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. Mais l’essentiel du business passe évidemment en grande majorité par internet, par téléphone ou par visio. Notre grande spécialité est de nous consacrer aux voyages individuels, sur-mesure, et avec une grande qualité de services. Nous sortons du cadre touristique classique. Par exemple, si vous souhaitez aller en Inde et que vous êtes un passionné d’agriculture, alors on vous proposera un contenu entièrement tourné vers l’agriculture.» 

Vous êtes reconnu pour votre grand engagement écologique. Quand et comment est née cette prise de conscience?

Jean-François Rial: «C’était il y a une quinzaine d’années. De façon assez confuse dans ma tête j’avais déjà l’idée que l’on ne pouvait pas continuer comme ça sans se préoccuper des conséquences, notamment concernant la problématique de l’avion. L’un de mes amis, qui était aussi administrateur de Voyageurs du monde, a enfoncé le clou en me disant : «Jean-François, tu ne peux pas te permettre de ne pas apporter une réponse là dessus.»

Cet ami, c’était François Lemarchand, le fondateur de Nature & Découvertes. Là, je me suis mis à lire tous les rapports du Giec, et tout ce qui existait sur le sujet. Puis, un autre jour, j’ai déjeuné avec Jean-Marc Jancovici qui a notamment créé The Shift Project et Carbone 4. Il n’était pas du tout connu à l’époque. Et quand il m’a dit que l’avion était totalement incompatible avec le climat, cela a encore renforcé mon investissement. A partir de là je suis devenu un écologiste très engagé, en effet.»

Et quelle a été votre première action concrète?

Jean-François Rial: «C’était à la même époque, quand nous avons décidé de planter massivement des arbres pour compenser chacun des voyages que nous vendions. Nous avons proposé à nos clients de le faire. Et lorsqu’on s’est aperçu que -s’ils étaient tous d’accord pour le faire, aucun ne passait à l’action- alors nous avons décidé de le faire tous seuls !»

Voyager durable, cela veut dire quoi aujourd’hui? L’avion est un sérieux frein, en effet…

Jean-François Rial: «Je n’aime pas ce terme. D’ailleurs, je ne l’utilise pas. Mais, pour moi, c’est voyager en ayant le moins d’impacts négatifs possible sur le plan environnemental et social. Voire en ayant des impacts positifs quand on le peut, au moins sur le plan social. Quant à l’avion, vous avez tout à fait raison: on peut en réduire l’impact, mais on ne peut pas ne pas en avoir. Actuellement l’électrique n’est pas une solution; l’autonomie de ces avions ne dépasse pas les 250 kilomètres. La vraie solution me paraît être dans les carburants de synthèse. Encore faut-il en produire suffisamment. Et à court terme, ce n’est pas du tout réaliste.»

En interne, vous avez déployé depuis longtemps une forte démarche RSE. Pouvez-vous nous en parler?

Jean-François Rial: Elle ne date pas d’hier, en effet… Par exemple, concernant le volet social, depuis 30 ans nous reversons chaque année 25% de nos bénéfices à tous nos salariés. Bien entendu, nous travaillons à un impact écologique minimum au sein de l’entreprise elle-même. Quant aux voyages de nos collaborateurs, nous essayons de faire la même chose que pour ceux que nous proposons à nos clients, à savoir de choisir pour eux les vols les moins émetteurs, les plus directs. De plus, pour un budget d’1,5 million d’euros par an nous plantons 3 millions de mangroves. Dernier exemple parmi d’autres, nous avons plusieurs bateaux sur le Nil. L’un d’eux émettait jusqu’ici environ 273 tonnes de CO2 par an, nous avons fait en sorte qu’il passe à 1 tonne par an

«En plantant de 180 à 250 milliards d’arbres sur dix ans, on diminuerait nos émissions d’un tiers.»

Jean-François Rial

Vous avez récemment publié «Le chaos climatique n’est pas une fatalité » dans lequel vous avancez plusieurs pistes d’action, comme l’accélération des transitions technologiques et sociales et la plantation massive d’arbres…

Jean-François Rial: «Oui, il s’agit de planter des arbres pour acheter du temps. Respecter l’objectif des 2°, on ne le peut plus en se limitant seulement au cadre de ce que prônent les Accords de Paris. Pour cela, il faudrait retrouver les mêmes chiffres que ce qu’on a connu au niveau mondial pendant le Covid, et évidemment cela ne tient pas, c’est impossible. En même temps, il faut le faire! Ce que nous proposons donc, c’est d’acheter du temps et d’agir sur une durée plus longue. Il faut absorber massivement du carbone, et la meilleure des solutions (en tout cas, l’une des plus rapides), ce sont les arbres. En planter massivement permettrait de baisser l’effort annuel nécessaire de 30%, ce qui n’est pas rien.  En fait, il faudrait en planter entre 180 et 250 milliards sur dix ans.

Ce chiffre donne le tournis… Est-ce vraiment réaliste?

Jean-François Rial: «C’est vrai que cela donne le tournis, mais ce n’est pas si irréaliste… Une étude datant de sept ou huit ans, venant d’un chercheur britannique, enseignant à l’Institut politique de Zurich, m’en a donné l’idée. Il a voulu mesurer combien il y avait d’arbres plantés dans le monde en s’appuyant sur des images satellite. Et quand il a commencé ce travail il s‘est dit que, tant qu’à faire, autant compter aussi combien il fallait en planter en plus. Il en a compté 3 000 milliards et il a vu qu’on pouvait en planter 900 milliards en plus sans jamais toucher aux activités agricoles et humaines. Parc e qu’il n’est pas question de planter dans les prairies, dans les zones agricoles ou dans les zones industrielles, bien  évidemment. Avec Matthieu Belloir qui a co-écrit ce livre avec moi, nous ne proposons qu’un quart de ce à quoi ce chercheur est arrivé. Et de le faire sur dix ans. Soit 25 milliards par an, sachant qu’on en plante déjà 15 milliards chaque année. Ce n’est donc pas du tout délirant! »

Autre point développé, la transition sociale. Changer les modes de vie par les temps qui courent n’est il pas compliqué? 

Jean-François Rial: «Oui. On nous parle trop souvent d’écologie punitive. Et lorsque vous mettez des choses en place, vous générez la colère sociale. Il faut donc accélérer sur des solutions qui ne nécessitent pas forcément une acceptation sociale. Comme l’énergie solaire qui est aujourd’hui ultra-compétitive et qui ne pose plus du tout question. Contre exemple (du moins à priori!), si vous imposez la voiture électrique, forcément vous allez dans le mur puisqu’aujourd’hui elle est plus chère. Sauf que demain, non, elle ne sera pas plus chère. Dans dix ans maximum, elles seront compétitives grâce aux batteries qui le seront aussi. Alors l’électrique ne posera plus aucun problème à personne. En fait, il faut laisser le temps de la transition et de la compétitivité technologique pour générer l’acceptation sociale.»

«Le changement climatique n’est pas une fatalité» de Jean-François Rial et Matthieu Belloir, avec la préface de François Gemenne (co-auteur du 6ème rapport du Giec) est paru aux éd. de l’Archipel. A noter aussi que Jean-François Rial anime le podcast «Les Sens du Monde». Une fois par mois, il propose un long entretien avec des personnalités elles aussi impliquées dans la lutte contre le réchauffement climatique. (Sur toutes les plateformes).

Articles similaires