De la stratégie urbaine chez Uber à la création d’une fintech dédiée à la mobilité durable, Denis Saada incarne une nouvelle génération d’entrepreneurs engagés. Dans le podcast « Changement de vitesse », il retrace son parcours, partage les coulisses de la création de Betterway et détaille sa vision d’un avenir où les entreprises et les collectivités deviennent des acteurs clés de la transition écologique des transports.
Faut-il avoir des concurrents pour réussir ?
Dès les premières minutes, Denis Saada affirme une conviction forte : la concurrence est non seulement saine, mais nécessaire pour structurer un marché émergent. Pour lui, le fait de ne pas être seul sur le créneau de la mobilité durable permet de légitimer l’offre, d’éduquer le marché et de faire progresser l’ensemble de l’écosystème. Il cite une étude de la Harvard Business School qui montre que les entrepreneurs les plus performants des 500 plus grandes réussites ont généralement entre 35 et 40 ans. Une statistique qui le conforte dans son propre parcours et dans l’idée que l’expérience compte dans la réussite entrepreneuriale.
De Sciences Po à Uber : un parcours de terrain
Denis Saada revient sur son parcours, depuis son enfance à Nice jusqu’à Sciences Po Paris. Plutôt attiré au départ par le monde du sport, il se forme finalement au sein d’un cabinet de conseil, où il découvre la rigueur, l’analyse stratégique, mais aussi la débrouille. Il intègre ensuite Clear Channel, où il participe à la création d’une mini-startup interne dédiée aux panneaux digitaux. Puis il rejoint Uber début 2019 en tant que Head of Cities France, avec pour mission de développer les relations avec les collectivités et d’introduire le transport à la demande comme nouvelle forme de service public.
Le déclic Betterway : un incubateur, 5 jours et une vidéo
C’est en découvrant un appel à candidatures du Moove Lab, l’accélérateur des startups de la mobilité de Station F, que Denis décide de se lancer dans l’entrepreneuriat. Il a alors cinq jours pour constituer un dossier complet. Avec une vidéo improvisée, une présentation rapide et un faux CTO (un ami informaticien à qui il demande juste la permission d’utiliser sa photo), il tente sa chance. Mais sa candidature est refusée. Ce rejet agit comme un déclencheur : il réalise que ce qu’il veut vraiment, c’est créer sa propre entreprise.
Entreprendre grâce au chômage : un modèle français
Le lancement de Betterway se fait alors que Denis est au chômage. Loin de percevoir cette situation comme un frein, il y voit une opportunité unique : celle de pouvoir entreprendre sans mettre en péril l’équilibre financier de sa famille. Il évoque cette chance offerte par le système français qui permet, grâce aux aides, de se concentrer sur la création. Une démarche qu’il compare à celle de pays comme Israël, où l’entrepreneur n’a pas ce filet de sécurité. En neuf mois de chômage, il amorce un projet qui créera plus de 40 emplois.
Le Pass Mobilité : simplifier la mobilité durable en entreprise
Betterway naît en 2019 dans le sillage de la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) qui introduit le forfait mobilité durable. L’idée de Denis : créer une carte de paiement dédiée à la mobilité durable, à l’image des titres-restaurant. L’employeur crédite un montant, et le salarié peut l’utiliser pour le transport en commun, le vélo, le covoiturage ou d’autres solutions. La solution vise à simplifier la gestion RH tout en favorisant les modes de transport plus durables. De grandes entreprises comme Danone, Nestlé ou AXA adoptent rapidement cette approche.
Une association réussie née pendant le confinement
Début 2020, Denis s’associe avec Alain Fetherstone, un futur cofondateur qu’il ne connaît pas encore professionnellement. Plutôt que de signer tout de suite un pacte d’associés, ils décident de travailler ensemble durant deux mois sous contrat freelance. Cette période de test permet d’évaluer la compatibilité humaine et stratégique. Une méthode que Denis recommande à d’autres entrepreneurs. Le contexte de la crise sanitaire ralentit les opportunités commerciales, mais offre le temps nécessaire à la construction du produit.
Premiers clients, première levée : une dynamique enclenchée
Fin 2020, Betterway obtient l’accréditation ACPR pour émettre des cartes de paiement. Très vite, les premiers clients arrivent, dont Back Market et Allianz. Une première levée de fonds de 1,5 million d’euros est réalisée avec Aster Capital, NCI et Plug & Play, accompagnés de business angels. L’équipe s’étoffe, les recrutements s’enchaînent, mais les résultats commerciaux tardent. Une période difficile s’ouvre alors pour la jeune entreprise.
La traversée du désert et l’apprentissage de la patience
Malgré l’euphorie de la levée de fonds, les mois suivants sont marqués par l’absence de nouvelles signatures. Pendant six mois, aucune vente n’est conclue. L’entreprise entre alors dans une phase de structuration intense : process internes, construction d’équipe, développement produit. C’est une période de maturation nécessaire, qui permet à Betterway de se préparer à la reprise du marché, plus dynamique en seconde partie d’année.
Edenred, un partenaire stratégique pour accélérer
En 2022, Betterway est approché par Edenred, acteur majeur des avantages salariés. Plutôt qu’un simple investisseur financier, c’est un partenaire industriel qui entre au capital. La levée de 4 millions d’euros qui en découle permet à Betterway de renforcer son positionnement, de bénéficier d’un réseau plus large et d’un accompagnement stratégique. Le rapprochement, officialisé en 2023, se fait dans un climat de confiance mutuelle. Pour Denis, il s’agit d’une décision structurante, sans regret.
Vers une mobilité plus inclusive et territoriale
Aujourd’hui, Betterway ne se limite plus au pass mobilité pour entreprises. La société s’ouvre aux collectivités avec des dispositifs comme le pass ZFE (zone à faibles émissions), déjà lancé à Grenoble et Strasbourg. Ces aides, fléchées vers des mobilités alternatives à la voiture, visent à accompagner les citoyens dans leur transition. Denis insiste également sur la nécessité d’accompagner les usages, pas seulement de distribuer des moyens de paiement. Il évoque une vision à 10–15 ans, où le vélo électrique, le covoiturage et l’autopartage joueront un rôle central dans une mobilité décarbonée et plus intelligente.