C’est une première dans l’histoire de la Vème République: une pétition demandant l’abrogation d’une loi récemment votée par le Parlement a reçu -en à peine plus de quinze jours- plus de 2 millions de signatures. Tous contre cette fameuse loi Duplomb qui vise à réintroduire un pesticide jusque là interdit dans les pratiques agricoles en France. Et si cette levée de boucliers inédite était une nouvelle (et flamboyante) étape dans la prise de conscience générale? On fait le point.
Déposées sur l’espace dédié du site internet de l’Assemblée nationale, les pétitions initées par de simples citoyens, par des associations ou par des ONG sont certes nombreuses et fréquentes, mais très rares sont celles qui dépassent les 500 000 signatures. Un seuil qui ouvre la possibilité d’un nouveau débat (sans vote) au Palais Bourbon. Lancée le 10 juillet par une jeune étudiante de 23 ans, Eléonore Pattery, celle intitulée «Non à la Loi Duplomb-Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective.» vient de dépasser (dix-huit jours plus tard) non pas les 500 000 signatures mais le cap des… 2 millions. Du jamais vu!
«La Loi Duplomb est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire. Elle représente une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire, et le bon sens. Cette loi est un acte dangereux. Pour les travailleurs, les habitants, les écosystèmes, les services écosystémiques, et pour l’humanité tout entière. Elle fragilise les réseaux trophiques et compromet la stabilité de notre environnement dont nous dépendons intégralement. Nous sommes ce que nous mangeons, et vous voulez nous faire manger quoi ? Du poison. », écrit-elle.
Citoyens, associations… Tous vent debout!
Rappelons que cette loi portée par le député LR du même nom vise la réintroduction d’un néonicotinoïde nommé acétamipride. Et que son adoption a été permise par les votes des députés LR, RN ainsi qu’une bonne partie des macronistes, provoquant aussitôt une levée de boucliers au sein de la gauche, des écologistes et des associations engagées dans la protection de l’environnement. Et donc des citoyens qui continuent de signer en masse cette pétition qui pourrait bien changer la donne.
D’autant que, depuis quelques jours, les initiatives se multiplient. Ainsi, la semaine dernière, une douzaine d’associations ont déposé une contribution commune auprès du Conseil constitutionnel afin de soutenir les saisines des parlementaires, espérant par ce biais faire censurer plus de la moitié de la loi. En parallèle, le Mouvement Impact France et des représentants d’agriculteurs, d’entreprises et de distributeurs ont publié un communiqué commun appelant à «un sursaut collectif». «Nous regrettons une décision qui fragilise les acteurs qui investissent et s’engagent depuis des années dans la transition agro-écologique.».
Les chefs français appètent à un moratoire
Et ce n’est pas tout. Le 24 juillet, un autre collectif rassemblant près de 400 chefs cuisiniers et acteurs de la restauration (dont Mauro Colagreco et Olivier Roellinger notamment), ont à leur tour appelé au retrait de la loi Duplomb, dans le cadre d’une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, appelant à un moratoire sur l’usage des pesticides en France et ’à «un véritable plan de transformation de notre système alimentaire pour l’orienter vers une agriculture et une alimentation durables.» «Nous faisons ce métier pour nourrir, pas pour empoisonner.», ajoutent-ils.
«Le backlash écologique concerne le personnel politique, pas la population»
Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat, sur Novethic.
Des politiques de plus en plus frileux face à l’urgence climatique
«En plein backlash écologique, ce sursaut citoyen pourrait contraindre l’Assemblée nationale à rouvrir le dossier à la rentrée.», analyse le site spécialisé Novethic qui précise que si le pesticide était interdit en France depuis 2020, il demeure «autorisé à l’échelle européenne jusqu’en 2032. De quoi susciter l’indignation des ONG aux citoyens, en passant par des personnalités publiques telles que Pierre Niney, qui ont massivement relayé la pétition sur les réseaux sociaux.» Pas de doute: le succès prouve combien «le backlash écologique concerne le personnel politique, pas la population», a réagi Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat auprès du même Novethic. De fait, les décisions des pouvoirs publics s’accumulent ces temps-ci qui marquent un véritable recul, depuis l’abandon de certaines ZFE jusqu’à l’allègement de la CSRD pour ne citer que ces deux exemples…
Et maintenant?
La Présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet s’est déjà dite favorable à un débat parlementaire dès la rentrée. La Ministre de l’agriculture Anne Genevard a également fini par sortir du silence, allant dans le même sens. Si le Conseil Constitutionnel valide la loi (il devrait rendre sa décision d’ici au 7 août), restera au Président de la République de la promulguer. Ou de demander son réexamen. C’est ce que souhaitent en tout cas de nombreuses ONG. Comme Générations Futures dont le porte-parole François Veillerette a déclaré dans un communiqué; «Adoptée sans réels débats à l’Assemblée Nationale et sans la possibilité pour les députés de l’améliorer par leurs amendements, elle doit maintenant être abandonnée par le gouvernement et le Président Macron qui ne doit pas la promulguer. Le Président doit également lancer rapidement un grand débat national sur le modèle agricole et alimentaire français.»