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Bouteilles d'eau

L’eau en bouteille menace-t-elle les objectifs de développement durable?

par Laurent F.

Quelques semaines après son accord historique sur la haute mer, l’ONU s’est intéressée à un autre usage de l’eau: sa consommation en bouteilles. Un rapport réalisé par un groupe de réflexion universitaire vient d’être rendu public. Il est édifiant.

Plus chère, et pas forcément plus saine

Selon un rapport réalisé par l’Institut pour l’eau, l’environnement et la santé de l’Université des Nations Unies basé à Hamilton (Canada), le marché de l’eau en bouteille a connu une croissance de 73% entre 2010 et 2020. Et ce ne serait là qu’un début puisque la consommation devrait passer d’environ 350 milliards de litres en 2021 à 460 milliards à l’horizon 2030. Concrètement, chaque minute, plus d’un million de bouteilles d’eau sont vendues dans le monde.

La raison de cette envolée? La perception de nombre de personnes qui voient en l’eau en bouteille «l’option la plus saine», explique la chercheuse Zeineb Bouhlel, autrice principale de l’étude. Une idée reçue lorsqu’on sait que (selon le rapport) des polluants auraient été trouvés «dans des centaines de marques d’eau en bouteille dans plus de quarante pays, dépassant souvent les normes locales ou mondiales.» Tout cela, alors que «les gens paient l’eau en bouteille beaucoup plus cher, de 150 à 1 000 fois plus que pour un litre d’eau du robinet», regrette encore la chercheuse. Mais derrière ces chiffres certes impressionnants se cachent de bien plus larges problématiques

«Le prélèvement incontrôlé d’eau souterraine pour la mise en bouteille pourrait, à terme, conduire à l’épuisement ou à la diminution drastique des nappes phréatiques»

Institut pour l’eau, l’environnement et la santé de l’Université des Nations Unies, mars 2023

Un accès à l’eau potable encore loin d’être universel

L’objectif d’une eau potable accessible à tous à l’horizon 2030 fixée par l’ONU est encore loin d’être atteint. Aujourd’hui, ce sont encore 2,2 milliards de personnes qui n’auraient toujours pas accès à une eau de qualité. Soit quelques 26% de la population mondiale. Un cercle d’autant plus vicieux que, pour palier ce manque, les pays en développement en appellent forcément beaucoup à l’eau en bouteille. Ainsi, l’Égypte, confrontée aux pénuries, a été le marché à la croissance la plus rapide entre 2018 et 2021 quand la Malaisie est celui qui en consomme le plus: environ 150 litres par habitant. L’étude pointe alors du doigt l’étendu du problème: «La moitié de l’argent dépensé dans le monde pour l’achat d’eau en bouteille suffirait à assurer un accès universel à l’eau potable».

85% des bouteilles finissent dans nos décharges… ou dans l’océan

Autre problématique induite par cette forte consommation, la pollution plastique évidemment: en 2021, 600 milliards de bouteilles en plastique ont été produites, et 85% d’entre elles ont fini leur «vie» dans les décharges. Pire encore, selon une autre étude publiée mi-mars, s’ils ne sont pas contrôlés les plastiques présents dans les océans pourraient presque tripler d’ici à 2040. Et le rapport de regretter «l’incapacité des gouvernements à suivre l’expansion galopante du secteur», et d’en appeler justement au contrôle. «Le prélèvement incontrôlé d’eau souterraine pour la mise en bouteille pourrait, à terme, conduire à l’épuisement ou à la diminution drastique des nappes phréatiques». D’où la nécessité d’une plus grande transparence et la mise en place de mesures juridiques qui obligeraient les entreprises à divulguer publiquement les volumes d’eau prélevés et à évaluer les conséquences de leurs activités sur l’environnement.

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