Ce 19 juin, le Groupement Logistique et Flottes durables proposé par Make a Move recevait Yves Colladant, Group Mobility Purchasing Manager chez Suez, et Vincent Schachter, cofondateur de Pelikan Mobility, une start-up qui s’appuie sur l’IA pour proposer une électrification sur-mesure des flottes. Voici ce qu’il faut retenir de ce partage d’expériences.
Suez: Une flotte aux nombreuses spécificités
Yves Colladant: Sur le territoire français, Suez compte 10 000 véhicules légers et plus de 3 000 poids lourds. Pour répondre aux demandes des municipalités qui souhaitent des véhicules à zéro émission, et pour répondre ainsi aux problèmes des nuisances sonores, nous avons décidé d’électrifier nos poids lourds utilisés pour la collecte. Malgré un coût relativement élevé, c’est une opération assez simple à mettre en place. Et qui permet d’avoir des TCO bien inférieurs à ceux du diesel. La problématique, avec ces poids lourds, est de pouvoir bien gérer le cycle de vie des batteries: à quelle période devra-t-on les changer par rapport à la durée de vie du châssis du camion? On s’aperçoit vite que, suivant les constructeurs, le cycle de vie des batteries et celui des châssis ne sont forcément alignés. Force est de constater que, sur la question de la durée de vie des batteries, aujourd’hui personne ne s’accorde vraiment. Nous manquons de recul.
Des difficultés (et de l’acceptation) des diverses réglementations
Yves Colladant: Les obligations légales varient dans le temps, et nous obligent régulièrement à faire un pas en avant, puis un pas en arrière. C’est évidemment très mal perçu par nos collaborateurs qui ne comprennent pas pourquoi. Bref, nous avons clairement besoin de visibilité. Ces lois et ces réglementations qui changent du jour au lendemain nous obligent à nous réadapter. Ou à réajuster nos car policies, ce qui n’est pas compréhensible non plus, d’autant que nous n’avons pas pu faire tout le travail de pédagogie et d’accompagnement nécessaires auprès de nos utilisateurs ou de nos agences.
«Bien des flottes ont été optimisées pour des usages précis, propres à chaque entreprise. Mais elles l’ont été avec des véhicules diesel, pas électriques.»
Vincent Schachter, Pelikan Mobility
Pelikan Mobility: L’IA, un outil d’optimisation du financement des flottes?
Vincent Schachter: Ces difficultés (auxquelles s’ajoutent celle des coûts d’acquisition plus importants), nous les rencontrons chez beaucoup de nos clients. Avec Pelikan Mobility, nous nous sommes attaqués à ces problèmes sous un angle technologique et financier. Nous sommes face à une transition majeure qui a forcément un impact sur les opérations. Bien des flottes ont été optimisées pour des usages précis, propres à chaque entreprise. Mais elles l’ont été avec des véhicules diesel, pas électriques. On le sait tous, les V.E. ont quelques faiblesses, à commencer par l’autonomie plus réduite qui, du coup, peut faire douter. En revanche, ils ont aussi leurs grandes forces. Comme leur coût certes un peu élevé au début, mais avec un coût d’opérations qui s’avère plus faible au final. Bref, nous proposons d’aider à mieux intégrer les VE dans les opérations, et ceci à toutes les échelles. Mieux les intégrer, c’est bien sûr comment on les utilise, mais aussi aligner les financements. Concrètement, si l’on est capable de segmenter une flotte selon ses usages, alors on pourra aligner le financement. Donc à en avoir un sur-mesure. De plus, lorsque des facteurs extérieurs viennent à changer (la réglementation notamment), deux possibilités s’offrent à nous: on peut essayer de la fixer ou on peut se donner des outils pour bien réagir au changement de contexte sans risque d’avoir une TCO qui explose!
Yves Colladant: Effectivement, une voiture ou un poids lourd électrique ne coûte pas le même prix que son équivalent diesel. Les financements sont donc forcément plus importants. D’ailleurs, là non plus ce n’est pas compréhensible par nos utilisateurs qui ont perdu la notion du prix réel du véhicule. Depuis quelques années, toutes les publicités annoncent un prix locatif, jamais le prix réel du véhicule! Ne perdons pas de vue non plus que le véhicule est un moyen de mobilité. Concernant le nécessaire accompagnement au changement, encore une fois il est nécessaire de se refocaliser sur la valeur ajoutée de l’utilisateur du véhicule (donc sur l’activité) et, en fonction du résultat, de réadapter l’usage. Ou de changer le véhicule, le cas échéant. C’est là où la data est effectivement très importante. Sans quoi on risque de faire gonfler les coûts, voire la taille de la flotte.
«A plus ou moins court terme, il s’agira aussi de se pencher sur la question de la recharge à domicile du collaborateur et sur celle en itinérance malgré une tarification jusqu’ici peu claire.»
Yves Colladant, Suez
Plan France Relance avec une enveloppe de 100 millions d’Euros. Aides de l’Ademe pour les poids lourds à hauteur de 60 millions. Cela vient-il influer sur les choix?
Yves Colladant: Oui. En tout cas, sur les poids lourds. Grâce à la subvention Ademe, nous avons pu proposer des camions électriques à nos clients, même quand ça n’était pas demandé à l’origine.
Quid de la question des infrastructures de recharge?
Yves Colladant: Nous sommes en train de revoir complètement notre stratégie d’installation. Nous souhaitons nous focaliser sur la valeur ajoutée pour déterminer comment équiper nos différents sites en optimisant ces infrastructures. L’objectif étant que la recharge s’effectue sur l’un de nos sites (avec un coût d’électricité que Suez maîtrise), et non sur l’itinérance. Bref, dans cette transition, il est primordial de définir une politique de recharge en fonction du type de véhicules et du cas d’usage. Et, à plus ou moins court terme, il s’agira aussi de se pencher sur la question de la recharge à domicile du collaborateur et sur celle en itinérance malgré une tarification jusqu’ici peu claire.
L’IA de Pélikan Mobility permet-il d’optimiser aussi ces points cruciaux?
Vincent Schachter: Oui. Notre technologie permet d’observer les opérations et de les adapter pour mener à l’électrification tout en gardant toujours en tête les usages de la flotte. Les politiques de recharge sont, à l’heure actuelle, en cours de constitution. Souvent, les entreprises mettent d’abord en place des règles simples, ce qui est absolument normal. Mais, si vous partez de la data et des données historiques, cela vous permettra de connaître l’équilibre optimal des différents types de recharges possibles. Ainsi, si vous voyez des pics de recharges privées à certains moments de la semaine par exemple, vous pourrez redimensionner votre politique pour un fonctionnement et un coût optimum. De plus, outre la TCO, il y a un second sujet : la performance opérationnelle. Dans le cas des collectes de Suez par exemple, il s’agit notamment de regarder l’impact de la tournée sur le temps d’usage du véhicule. Et cela aussi l’IA va être capable de le traiter.
Qu’en est-il des cas d’usage?
Yves Colladant: En milieu urbain, les cas d’usage sont généralement simples à électrifier. Cela étant, nous avons des cas d’astreinte. Là, le véhicule doit être disponible 24 heures sur 24, donc il s’agit de bien gérer la recharge afin que le véhicule puisse être suffisamment chargé. Car, bien entendu, quand il part on ne sait jamais ni pour combien de temps ni sur combien de kilomètres. Même chose pour les poids lourds. Il suffit qu’une borne disjoncte dans la nuit et que l’on ne s’en rende pas compte pour que, le matin, le camion ne puisse pas partir et que la collecte ne soit pas assurée. L’avantage que nous avons, c’est que nos véhicules utilitaires sont segmentés par activités. Certains sont en milieu urbain, d’autres en milieu rural. Ils nécessitent évidemment une approche différente. Nous allons donc effectuer cette segmentation, et cartographier selon les usages. Nous mettrons aussi des véhicules en test pour mieux définir ces cas d’usage.
Et comment travaillez-vous à l’amortissement des frais d’acquisition?
Yves Colladant: Nous observons le TCO global. Le coût énergétique est évidemment primordial, d’où la nécessité de savoir où l’on va effectuer les recharges électriques car les équilibres de TCO sont complètement différents en fonction du lieu où elles se font. D’un point de vue économique, nous n’allons pas modifier nos durées de leasing (en moyenne cinq à six ans), mais les loyers sont nettement plus élevés. La charge financière et les CAPEX associés sont donc eaucoup plus importants. C’est une chose très peu prise en compte, et c’est un tort. Car, au final, c’est la dette de l’entreprise qui augmentera. Si cela n’est pas anticipé, alors on connaîtra de nouveaux à-coups dans la transition et l’entreprise prendra de vrais risques.